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Olivier Mathieu – Poèmes en demi-douzaine

13 mars 2023

Olivier Mathieu m’écrit :

« Le présent article contient des poèmes récents, qui ont été adressés par mes soins à quelques personnes, notamment au directeur d’une revue parisienne de poésie…

On m’annonce, pour finir, que ces poèmes seront publiés, dans quelque temps, par une petite revue de poésie, dans un pays proche de la France. »

*

Ma pauvre vieille Europe aux destins condamnés

Un jour de mes vingt ans, ma mère à la fenêtre
M’adressait de la main un geste d’au revoir.
On se dit au revoir pour croire à un plus tard.
Le ciel était soleil et bleu plein de nuages.
Le geste maternel disait qui elle était.
Un beau geste d’adieu et de bénédiction.
De Rome à Caracas, du Mexique en Afrique,
J’ai vécu à Belgrade, à Venise, à Oslo,
A Florence, à Madrid, d’Athènes au cap Nord.
Et voici qu’aujourd’hui je survole en avion,
Pour une fois encore et dans le sens contraire
Ma pauvre vieille Europe aux destins condamnés,
L’Europe qui me semble une Carte du Tendre.
Et voilà qu’aujourd’hui je survole en avion
Les pays d’autrefois de ma pérenne errance,
Cœur à l’amour perdu, comme une âme sans corps.
Je me souviens, des ans passés il me souvient.
J’ai ri et j’ai pleuré, semé des cailloux blancs
Comme pour retrouver, au tomber du rideau,
Les deuils auxquels toujours il m’a fallu survivre
Et le ciel est soleil et bleu plein de nuages.
Le soleil me sourit à travers le hublot
Et la pluie est en pleurs, pleurant les amis morts
Et ceux que jamais plus on ne verra du tout.
Et voilà qu’aujourd’hui je survole en avion
Ma malheureuse Europe aux Empires déchus
Et quarante ans ont fui. Ma mère est dans sa tombe,
Tout au revoir finit en jamais se revoir.
Mais mon cœur a lutté, mais mon cœur a battu
Et mon Europe est un vaste champ de bataille
Et c’est un cimetière et c’est un grand poème.
Et merci à la vie, à mon dernier amour
Qui est aussi l’amour du premier de mes jours
Et merci à la mort, à mon premier amour
Quand viendra donc le temps de partir pour la mort.
Et encore une fois je monte au front de guerre
De l’art et de l’amour, ainsi qu’au temps naguère.

*

Les temps du non amour

Te souvient-il du temps où nous étions amants
Quand l’esprit se mêlait à la chair impérieuse
Jusqu’au tréfonds du corps, te souvient-il du temps
Des cœurs unis, l’un l’autre, en un seul battement?
Il restera de moi quelques lettres d’amour
Au fond d’un vieux tiroir, et un ruban autour.
Dans les pages d’un livre une fleur embaumée,
Un parfum d’autrefois, un pétale de rose,
Un cahier déchiré, un poème ébauché,
Mais que restera-t-il de moi dedans ton cœur?
Peut-être rien de rien, si tu m’as désappris
Peut-être suis-je entré dans le profond oubli
Où l’on oublie amour, et où mort l’on oublie
Comme amant et amante entrés dedans la ronde
Des temps d’amour et puis des temps de non amour,
Comme emporte le vent aux jours où l’on désaime
Peut-être rien de rien, mon pauvre cœur qui t’aime
Mais que je sois au moins, parfois, un mort qui parle,
S’il te souvient un jour que nous fûmes amants,
Et je t’offre ces vers comme mon testament,
Dans le ciel cimetière aux tombes des étoiles,
Aux éclats de soleil dans tes beaux yeux que j’aime,
Mon cœur viendra saigner en crépuscules pourpres,
Au grand saute-mouton de nuage en nuage,
De la vie à la mort le grand saute-mouton.

Olivier Mathieu

*

Grand pitié pour l’enfant qui allait aux putains

Grand pitié pour l’enfant qui allait aux putains
Et pitié pour l’enfant qui marchait dans les villes,
Arpentant les quartiers des gares, des banlieues,
Sans sou vaillant en poche, admirant les beautés
Dans la rue, au soleil, des yeux des aguicheuses.

Grand pitié pour l’enfant qui allait aux putains
Et pitié pour l’enfant qui allait aux putains
Le cœur ivre, et pour mieux oublier un instant
Matrimoniale Harpie et Mégère bourgeoise,
Il mendiait quelques sous de tendresse à un ange
Dont il ne recevait jamais aucun centime.

Et pitié pour l’enfant qui croyait en l’amour,
Grand lecteur de romans pleins de putains aimantes.

Grand pitié pour l’enfant qui allait aux putains
Et pitié pour l’enfant qui allait aux putains
Comme on serre les poings au ciel vide de Dieux,
Et pitié pour l’enfant, pour l’enfant réprouvé
Qui cherchait seulement une sœur réprouvée
Et longtemps, si longtemps, ne l’a jamais trouvée.
Et pitié pour l’enfant qui cherchait l’anarchie
Dans l’ordre, et qui cherchait l’ordre dans l’anarchie.
Et pitié pour l’enfant qui voulait se tuer,
Qui voulait seulement gésir avec la mort.

Mais pitié pour l’enfant que vous avez tué,
Mais pitié pour l’enfant qui allait aux putains
Parce qu’il méprisait l’amour prostitué
Des bourgeois, dans les lits puants des puritains.

Olivier Mathieu

*


Je songe aux guerriers morts sur le front du destin

Je songe aux guerriers morts sur le front du destin
De cette guerre ultime en un miroir sans tain,
Les morts dorment sous terre. Dans le ciel tout bleu d’eau,
Nuages ricochets aux runes de bouleau,
Pour la liberté morts à pas encor vingt ans,
Europe, qu’as-tu fait de ces beaux cœurs battants?
O morts, pauvres gisants, plus jamais ils ne bougent,
Le temps a dépecé leur beauté en haillons,
Portant autour du cou dessus un médaillon
Une photographie en noir et blanc, et rouge
De leur amour resté au pays, une fille,
Signal noir et blanc, rouge, une photographie
Et je les rejoindrai demain, parmi les vers.
Les hommes de mon temps, temps du monde à l’envers,
Ivres de liberté, vivront en esclavage,
Mais qui saurait vraiment de mon cœur dire l’âge?
Ah! Tant que vogueront dans le ciel les nuages,
Souvenez-vous toujours, chers lecteurs de nuages,
Des enfants, des amours d’au-delà les nuages,
Puisque donc faneront les jeunes filles en fleurs
Mais que refleuriront au printemps mes nuages
A l’ouest et à l’est, des nuages, des tombes,
Orgasmes des prisons et le chant des colombes,
Si toi et moi jamais n’aurons matin ou soir,
Si tout notre destin ne fut qu’un au revoir,
Ils ne sépareront jamais nos deux cœurs de douleur
Mon cœur, nos pauvre cœurs crevant de crève-cœur.

Olivier Mathieu

*

Le dernier bonhomme de neige de l’hiver.

Soif de noif. Nix de nox. Lux nux. Nivait la neige.
Le ciel s’éparpillait en flocons sur la terre,
En étoiles de neige à la fin de l’hiver,
La neige, que j’aimais la regarder niver,
Soif de noif, lux en noiz, neigeait, neigeait la nive
Au bord de Seine, au Pont du Pecq, sur les deux rives,
Je n’étais à vingt ans qu’à l’aube de mon erre.
Depuis le très grand ciel tombait, tombait la neige,
Et dansait une fée aux purs reflets d’enfance
Et par ce temps de neige, un bonhomme de neige
Comme neige fondait dans le soleil immense.
Le ciel vibrait d’or pâle et semait en arpèges
Des nuages flottants voltigeant de lumière,
Tel fut le bel hiver au temps des grandes terres
Dont les compaings d’hier rien ne sont devenus
Et nul ne se souvient du bonhomme tout nu,
Que la neige aujourd’hui revienne et m’illumine,
Lui qui était couvert de blanche mousseline
Et des larmes de lait de ses grands yeux coulaient
De glace, en sucre, au goût de la neige à l’orange,
Neige en soif, nuit de neige et lumière d’aurore
Comme une ouate très douce à l’odeur qui décore
La neige de vanille en pas d’ange et mésanges,
Au temps des papillons de mes hivers d’antan,
Moi je savais déjà comme s’enfuit le temps.
Et à Marly-le-Roi c’était bonheur en noiz,
Marly qui n’était plus déjà en Seine-et-Oise.
Il neigeait à plein ciel, il noivait de la nèvre,
Immobilité blanche et la douleur aux lèvres.
La neige, que j’aimais la regarder niver.
Il n’y avait que lui, le bonhomme de neige
Et moi, deux pour pleurer la chair de neige aux vers.

Olivier Mathieu

*

Les grands marronniers.

Mon grand-père déjà, sous la lune et ces arbres
Qui ont été les seuls amis de mon enfance,
Avait marché, jadis. Arbres au cœur antique.

Ce fut là le terrain des jeux de mon enfance
Et le vent chuchotait dedans les verts feuillages.
Moi qui ai oublié tant d’hommes inutiles,
Je me souviens du bruit du grand vent dans leurs branches.

L’après-midi parfois était si grand, si grand,
Que l’enfant ne pouvait, en un seul jour, saisir
Le soleil du ciel bleu et l’ombre des nuages.

C’était le temps d’un ciel qui se chargeait d’orages,
Le destin attendait. Le soleil, en fumée,
S’évaporait dans l’or et l’ébène des branches
Au son du concerto du Triangle de Liszt.

Racines dans la terre aux ténèbres de nuit
Et branches vers le ciel, j’aimais ces marronniers,
J’aimais ces marronniers aux grappes roses, blanches,
La lune caressait leurs feuillages de plume
Et j’écoutais tomber les marrons à l’automne,
Le rebond sur le sol des bogues et des fruits
L’hiver, vous sembliez des lustres de cristal.

Et puis je suis parti et je vous ai quittés,
Si loin, si loin de vous. Et ont passé dix lustres
Et la lune a volé, je sais, de branche en branche,
Le soleil et le vent, le soleil et la pluie,
Frôlements, froissements de la pluie et du givre.

Les hommes m’ont trahi, ils m’ont abandonné,
Et les enfants sont morts, l’amour s’en est allé,
J’ai beaucoup voyagé mais dessous mes paupières,
Je vois encore au vent danser vos silhouettes,
Le murmure du vent dans vos branches dressées,
Les nuages au ciel frissonnant en dentelles,
Amis de mon enfance, ô mes grands marronniers,
Et tandis que l’Europe en son naufrage sombre,
Ma clepsydre se vide en grains voleurs de sable.

Voilà: le beau soleil, cycle du devenir,
A égrené mon temps au sein du temps cosmique.
Je voudrais vous revoir comme un adieu aux Dieux,
Vous, les grands marronniers aux branches arrondies
Tels des bras accueillants, pour attendre la mort,
Encore un jour couleur châtaigne et feuille morte,
C’est à vous que je parle et vous direz, en larmes:
L’enfant est revenu puisque c’est aujourd’hui
Le dernier rendez-vous aux marronniers des jeux.

Olivier Mathieu.

From → divers

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