Annexe à l’article précédent.
Ferré, pourtant marqué pour ne pas dire obnubilé par la musique (y compris la musique classique) et une musique si je puis dire tonale et régulière, sans beaucoup de dissonance ou d’audace atonale, avait un gros défaut, une grosse négligence qui a abîmé beaucoup de ses chansons, du moins celles dont les paroles étaient de lui : ces dernières ne relevaient très généralement pas de la prosodie poétique régulière.
Certes, je connais au moins une exception remarquable : La Mémoire et la Mer, dont le titre a été suggéré par l’écrivain Jean-Pierre Chabrol. Et qui est extraite d’une œuvre de longue haleine, celle-ci. Ceci expliquant cela.
Et il allait même jusqu’à saccager les vers réguliers en écrivant parfois des faux alexandrins, et plus généralement en escamotant les « e » qui le gênaient. Même André Breton qui n’était pourtant pas beaucoup marqué par l’esprit classique en était choqué.
Il n’avait pas vraiment le sens de la beauté poétique des mots, et surtout écrivait beaucoup trop vite les paroles de ses chansons. Où l’idée ou l’émotion prenait le dessus sur l’expression orale. Ne se foulant pas toujours pour les rimes. Se contentant souvent de rimes pauvres, voire très pauvres et parfois même approximatives, du type de l’assonance ou de l’à-peu-près.
Et était beaucoup trop lié au langage parlé courant. À la diction relâchée courante. Quand je dis « langage parlé », je ne veux pas dire « langage argotique », les mots d’argot ne me gênent pas en soi, ni les mots dits vulgaires, du moins quand ils sont bien venus, biens sentis ; ce qui me gêne ce sont les faux alexandrins ou faux octosyllabes, etc. ; ou les élisions intempestives de « e » qui font tache par rapport à la musique qui, elle, est toujours sans fausse note.
Il est un peu trop facile d’arranger des phrases pour qu’elles tiennent en mesure, sans trop se préoccuper d’en casser ou pas des morceaux. Je ne vois pas au nom de quoi on s’y autorise, alors qu’on ne s’autorise jamais à faire la même chose avec les mélodies, les rythmes, les harmonies… Ou du moins, quand des variations musicales peuvent se produire, c’est toujours avec un sens musical, un souci esthétique.
Mis à part très peu de ses chansons, celles dont les paroles sont de lui ne sont pas classables comme poèmes. Autrement dit, presque tout ce qui relève de la poésie dans son oeuvre, n’est pas de lui mais de poètes qu’il a mis en musique : Rutebeuf, Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, Caussimon… Ou relève du poème plutôt dit que chanté comme la Chanson du Mal-Aimé d’Apollinaire qu’il a accompagné de musique.
Il avait un problème avec la diction régulière des poèmes également réguliers, puisque l’on rencontre sur ces disques des poèmes réguliers qu’il arrive parfois à écorcher.
Il se faisait, d’autre part, presque une gloire d’avoir écrit les textes de certaines de ces chansons, parmi les plus connues, sur un coin de table en très peu d’heures. Par exemple, la chanson « Les anarchistes » ou la chanson « Avec le temps ».
Et c’est justement pour ça que, si les musiques passent bien et même trop bien, et prennent même le dessus sur une partie des paroles, ce qui est dit aurait demandé à être repris. Amélioré. Travaillé.
On rencontre même chez Ferré des fautes de goût, des faiblesses. Je ne sais pas qui a écrit que dans toute chanson, il demeure toujours certaines maladresses. Mais alors, pourquoi devrait-il en être toujours ainsi ?
Et ceci le dessert. Comme cela dessert d’autres chanteurs de sa trempe, tel Brassens qui, lui également, a été souventefois négligeant avec la bonne prononciation, ou plus exactement la belle prononciation. Celle de l’Art, et non pas celle de la rue.
Je ne cache pas que ce que je ne remarquais pas trop avant, ou plutôt que je prenais pour argent comptant chez Ferré et les autres chansonniers (c’est ce terme que l’on devrait employer alors qu’il a été réservé a un type particulier de gentils égratigneurs de l’actualité, plus ou moins disparus de nos jours) m’indispose de plus en plus avec l’âge.
Mais je ne suis pas le seul : Ferré lui-même en vieillissant se moquait de certaines de ces chansons anciennes légères et écrites à la va-vite.
Par exemple :
T’es tout’ nue
Sous ton pull
Y a la rue
Qu’est maboule
Jolie môme.
Où le « pull » prononcé : poul’, pour la rime, a été accepté par divers interprètes, alors que Ferré aurait dû se creuser un peu la tête pour arranger ça.
Je ne sais pas : T’es tout’ nue / Ma p’tite poule / Dans la rue / T’es maboule / Jolie môme. Ou : T’es tout’ nue / Dans ta boule / Y a la rue / Qu’est maboule / Jolie môme. Non je blague.
C’était sa période des « vers » courts, comme pour « Grain’ d’ananar ».
Donc comme ses paroles me font mal aux oreilles et aux yeux, je me suis amusé à « restaurer » plus à mon goût sa chanson, mais sans rien tenter ou presque pour améliorer les rimes. C’est encore un autre travail à faire.
Chanson qui, soit dit en passant, a de forts relents de Villon…
*
La vie m’a doublé,
C’est pas régulier ;
Moi pauvre lézard
Qui vit par hasard
Dans la société.
Mais la société
Faut pas s’en mêler
Pour un type à part
Graine d’ananar.
*
J’ai, dit-on, poussé
Dessous un gibet
Où mon grand-papa
Balançait déjà
Avec un collier.
Un collier tressé
De chanvre pressé ;
Un foutu foulard
Graine d’ananar.
*
Y avait des copains
Qui mangeaient leur pain ;
Car le pain c’est fait
Pour le partager
Dans la société.
Celui qui le dit
A nom : Jésus-Christ ;
Un foutu bavard,
Gueule d’ananar
*
Si j’avais des sous,
On me dirait : « Où
Les as-tu gagnés
Sans avoir trimé
Pour la société ? »
Mais je n’en ai pas
Et voilà pourquoi
C’est jamais peinard
Graine d’ananar.
*
On dit : « C’est fini »
Le dit et redit ;
Et qu’on me pendra
Au nom de la loi.
De la société.
Belle société
Qui veut se mêler
De mettre au rancart
Graine d’ananar.
*
Potence d’oubli
L’oiseau fait son nid ;
Messieurs les corbeaux
Passeront ma peau
Comme en un tamis.
Mais auparavant
J’aurai tel le vent
Semé quelque part
Ma graine d’anar.
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