HISTOIRES D’EAU

Le 11 août dernier, le Collectif associatif Eau 88 a publié une lettre ouverte destinée au préfet des Vosges.
Cette lettre dénonçait un « deux poids deux mesures », relativement à l’alimentation en eau dans un moment (inhabituel) de sécheresse. Alors que le préfet venait de classer le département en situation de crise, mais pour deux zones seulement (Meurthe et Moselle amont + Saône amont). Et se refusant à le faire pour « le secteur de Vittel-Contrexéville ainsi que tout l’ouest vosgien [qui] restent [seulement] en situation d’alerte renforcée au motif que les paramètres objectifs de référence ne le nécessiteraient pas », comme le précise cette lettre.
Le collectif poursuit en déclarant :
« Nous sommes plus que dubitatifs car le niveau de la nappe des muschelkalk continue à baisser pour se rapprocher des minima et les assecs constatés en amont de Vittel-Contrexéville sont préoccupants (cf photos ci-dessous) et reflètent davantage une situation automnale.
Bref sur le terrain, la situation des cours d’eau est inédite et nous ne voyons pas de différence avec le territoire voisin de Saône amont. »
Non, il ne s’agit pas encore d’oueds. Ou une extension des dites « rivières cévenoles » à des contrées plus nordiques et plus vraiment méditerranéennes.

Le Petit Vair naît à Thuillières, à 445 m d’altitude, son parcours est de 15,6 kilomètres, il se jette dans le Vair à Saint-Remimont, à 319 m d’altitude.

Le Vair, d’une longueur totale de 65,3 km, prend sa source dans la commune de Dombrot-le-Sec et se jette dans la Meuse à Maxey-sur-Meuse.
Le Muschelkalk, ou calcaire coquillier, désigne une partie des states du Trias moyen qui datent d’environ – 245 millions d’années à – 235 millions d’années.
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Je note que la baisse de niveau des eaux semble être une réalité de l’automne dans les Vosges (« … et reflètent davantage une situation automnale »). Du début ou de la fin de l’automne ? Dans ma région, à la frontière atlantique du pays, l’automne, sa seconde moitié en particulier voit une remontée sensible des eaux avant le début de la saison des inondations et des longues séquences de pluies de l’hiver. Et des débords.
Et cette année comme dans les Vosges donc, le niveau de la Loire, qui reçoit beaucoup moins de ses affluents, peut-être excessivement bas cet été, canicules obligent ; petites filets d’eau et boires (boères, bailles) à sec ; il est même possible de la traverser à pied en certains endroits.
Certes pas du côté de son embouchure avec l’apport deux fois par jour, avec un léger retard chaque jour, des eaux saumâtres remontées par l’Océan, le « chal » (le flux en breton) des marées montantes, suivi du « déchal » (dichal en breton). Les marées sont ressenties à Nantes ; puis jusqu’aux portes d’Angers (Bouchemaine, Les Ponts-de-Cé) soit à environ 150 kilomètres de la mer, en suivant la Loire.
Localement, les marées expliquent bien des choses du climat. Par exemple, depuis la fin de la semaine dernière une période de grandes marées a « détraqué le temps », comme tous les ans vers la fin du mois d’août, et fait fuir en quelques heures la canicule. Divisant par deux les températures maximales et apportant un peu de pluie d’orage.
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Mais pour en revenir au problème vosgien présent, je reprends l’exposé de cette lettre :
« Nous ne comprenons donc pas cette attente supplémentaire avant de passer en situation de crise, à moins que…
« En effet depuis quatre ans nous intervenons en comité sécheresse pour que le fonctionnement de la nappe des Muschelkalk (secteur Vittel – Contrexéville) soit mieux appréhendé et que l’impact des prélèvements Nestlé sur le niveau de la nappe mais aussi sur le fonctionnement des milieux aquatiques superficiels soit identifié.
« Chaque année, quelque soit la situation, Nestlé continue à pomper dans la nappe supérieure ainsi que dans les GTI (nappe profonde) sans restriction aucune, alors que tous les autres usagers doivent réduire leur consommation.
« Nestlé prélève en moyenne chaque mois d’été 65 000m3 dans le gîte A et 100 000 m3 dans le gîte B, soit 5500 m3/j, l’équivalent d’une ville de 40 000 habitants !
« Une eau qui n’a rien de prioritaire dans son usage puisqu’elle n’a pas la qualité requise pour l’AEP et qui plus est gaspillée à 30% (eaux de process – pertes) et est exportée hors territoire (rupture du cycle de l’eau) dans des régions ou pays qui ne manquent pas d’eau.
« Facteur aggravant, les prélèvements du mélange Contrex (531 000m3 en 2021) ainsi que pour les thermes Contrex (91 000m3 en 2021), ne sont pas autorisés au titre du code de l’environnement et n’ont fait l’objet d’aucune étude d’impact au titre de la loi sur l’eau!
« Bref il devenu inacceptable de faire perdurer cette situation de discrimination par inaction de l’Etat et refus d’imposer des restrictions voire l’arrêt des prélèvements à Nestlé en cette période de crise majeure qui risque malheureusement de s’aggraver dans les prochaines semaines. » Fin de citation.
Pour le dire autrement, le préfet impose des restrictions relativement à la consommation et le pompage de l’eau, mais aucune pour celle qui est la plus grosse consommatrice : la Société Nestlé.
Il faut savoir que Nestlé Waters (qui n’a normalement rien à voir avec l’eau des toilettes) qui est la Division Eaux du groupe suisse Nestlé est, depuis 1992, propriétaire des marques des eaux Vittel, Hépar (deux sources de Vittel, la seconde aux eaux très minéralisées, en particulier en magnésium) et Contrex (à Contrexéville).
Mais il semble que cette société a tous les droits d’usage et d’« abusage » de l’exploitation de sources qui finalement épuisent régulièrement l’ensemble des nappes phréatiques locales.
Pour quelles raisons le préfet laisse-t-il faire ? Qui profite de possibles bakchichs de Nestlé ? Peut-on encore parler d’un usage rationnel et collectif de l’eau en cette zone des Vosges ?
Personnellement, surtout à notre époque, je trouve aberrant que l’eau ne soit pas municipalisée, sans possibilité de privatisation, partout ; et réellement déclaré bien commun. Déjà en donner l’exploitation, au niveau de l’eau courante à des entreprises privées comme cela se fait est un scandale. Mais carrément laisser faire un grand groupe international privé comme Nestlé mettre à mal le bien commun est quasi criminel de nos jours. Quand le simple citoyen est amené à restriction.
D’ailleurs, il en est de même de ces grandes exploitations agricoles qui non seulement utilisent des engrais mauvais pour la nature mais qui plus est pour des cultures « bouffeuses d’eau » pas toujours adaptées à nos contrées (le maïs par exemple). Comme il en est de ces grands complexes de production porcine dont les lisiers sont un fléau. Jusqu’à entraîner la fermeture d’usines commercialisant de l’eau de source comme on l’a vu en Bretagne. Ajoutons y maintenant les éoliennes, une aberration pseudo-écolo non rentables, recourant à des matières rares, fragiles, nécessitant des compléments de production énergétiques, dont les nuisances visuelles, sonores, et invisibles (ondes) sont patentes.
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Reprenons cette phrase de la lettre du Collectif Eau 88 qui résume une partie des problèmes :
« Une eau qui n’a rien de prioritaire dans son usage puisqu’elle n’a pas la qualité requise pour l’AEP et qui plus est gaspillée à 30% (eaux de process – pertes) et est exportée hors territoire (rupture du cycle de l’eau) dans des régions ou pays qui ne manquent pas d’eau ».
J’ignore le sens du sigle GTI. Quant à AEP, il est probablement l’abrégé de l’expression « adduction d’eau potable », ou « alimentation en eau potable ». Je ne saurais dire en quoi cette eau n’aurait pas la qualité requise pour l’alimentation en eau potable, alors même qu’elle est « pompée » par ailleurs comme eau de Vittel, d’Hépar, ou de Contrex(éville).
Pratiquement un tiers de cette eau serait gaspillée, ce qui est énorme. « Eaux de process » ? Une industrie de type process (anglicisme pour « processus », « procédé », « procès ») est une industrie dans laquelle la matière première subit une transformation chimique. Il est sans doute question ici de filtrage de l’eau, voire de recomposition chimique afin d’ajouter ou soustraire certains éléments naturels, certains minéraux. Les pertes. Pourquoi et en quoi des pertes ? Je n’ai pas de réponse.
La dernière réflexion ne manque pas de justesse non plus : l’eau minérale vendue sous les marques de Vittel, Hépar, Contrex est exportée (pour l’essentiel) hors du territoire, disons hors du département des Vosges vers toutes sortes de lieux : « des régions ou pays qui ne manquent pas d’eau ». Il s’agit donc bien d’une rupture locale, régionale, du cycle de l’eau.
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Emblème de ladite Chine de Taïwan
Il semble que ces comportements des dirigeants des multinationales qui agissent en toute impunité et/ou complicités des z-élus ou autres z-autorités non n-élues, atteignent de nos jours des dimensions folles. Ainsi, dans le même monde du globalisme occidental, je pourrais prendre l’exemple, qui est encore plus radical, de la manière dont a été gérée une pénurie d’eau à Taïwan en plein covidisme.
Taïwan a subi une sécheresse remarquable, « historique » comme on dit de nos jours (et souvent pour tout et pour rien) au printemps 2021. Et vous savez quoi ? Pendant cette période de pénurie, le gouvernement taïwanais a privilégié l’alimentation en eau des usines de fabrication de puces. Les fameux semi-conducteurs, utilisés en particulier dans la réalisation de micro-processeurs, dont l’Asie s’enorgueillit et s’est fait une spécialité, ou plus exactement dont les capitalistes ont fait de l’Asie une spécialité. Pour des gains de coût, avec une main d’œuvre très docile et à très bon marché. Le capitalisme n’a pas de patrie, mais que du profit.
Il faut savoir que l’année passée, TSMC, la plus importante firme de fabrication de puces électroniques de Taïwan consommaient à elle seule environ 156 .000 tonnes d’eau par jour, recyclée à environ 87%. Et pour maintenir la production malgré les restrictions, la société faisait appel à des camions citernes pour ses usines.
Dans le même temps, l’irrigation de champs de riz a été coupée et les simples particuliers étaient privés d’eau courante deux jours par semaine.
Ce qui montre donc que la recherche du profit passe avant les hommes. Avant leur bien être. Avant le bien être de la masse des hommes. Jusqu’à l’absurdité. Et jusqu’au mépris total des populations locales ! En toute adéquation avec les gouvernements, tous — et présentement à Taïwan — dignes représentants du grand capital et de la finance interlope.
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Les semi-conducteurs sont produits localement dans plusieurs sociétés de pointe de Taïwan dont la plus connue et la plus importante est TSMC. Taiwan Semiconductor Manufacturing Company, qui employait en fin d’année 2021 plus de 65.000 personnes. Société au capital de 610.911.000.000 de dollars américains (au 7 novembre 2021).
Société qui réunit des capitaux de diverses multinationales, dont des fonds d’investissements et des fonds de pensions nord-américains. Certains bien connus comme The Vanguard Group ou BlackRock. Et bien d’autres ; ils ne sont pas les seuls, loin de là.
Ce que l’on peut dire est que cette société comporte de nombreux, pour ne pas dire multiples actionnaires, mais jamais pour une part importante (sauf que de nombreux groupes sont plus ou moins liés entre eux, et possèdent des actions les uns chez les autres). Si bien qu’il est difficile, ici comme dans les autres multinationales, de savoir qui détient quoi réellement et qui dirige cette société, comme tant d’autres au niveau international. 5 sociétés actionnaires détiennent moins d’un pourcent chacun de la Société, 2 entre un et deux pourcents, deux entre deux et trois pourcents, et c’est un organisme de l’État taïwanais le National Development Fund of The Executive Yuan qui détient le « gros morceau » qui ne représente que 6,38 % des actions.
Les usines de TSMC sont situées à Taïwan pour neuf d’entre elles, deux en Chine, une à Singapour, une aux États-Unis. Cette société possède deux filiales, une en Chine et une aux États-Unis.
Cette entreprise possède également comme politique de diversifier au possible sa clientèle qui se chiffre à plusieurs dizaines ; la plupart de ces clients représentent chacun moins de 10% du chiffre d’affaires. De « diluer » sa production. Elle ne cherche pas à vendre directement pour elle-même ce qu’elle produit, mais fabrique et vend à la demande des uns et des chacuns (comme on disait autrefois), qui sont des sociétés du domaine de l’informatique et autres (énergie solaire, par exemple) qui ont recours aux semi-conducteurs. Et on peut dire ici aux semi-conducteurs de pointe qui ont partie liée maintenant avec les nanoparticules.
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Voilà, entre autre, pourquoi les étatsuniens, les « démocrates » mondialistes en particulier — les bellicistes éternels comme nos « socialistes » (du moins ce qu’il en reste) — ne veulent pas lâcher le morceau à Taïwan. Et ont ouvert un second front à distance, après celui du Donbass en Ukraine. Et font de la provoc. Et pourquoi les petits chiens de garde et autres sénateurs franchouillards y vont eux aussi de leur visite imbécile à Taïpeï. Ou encore pourquoi le gouvernement étatsunien « dirigé » par le fantoche sénile biden, asticote les Chinois en organisant des manœuvres avec les Indiens à cent kilomètres de la frontière chinoise, près de zones frontalières contestées.
Il faut quand même savoir que c’est la Chine dite nationaliste, la « République de Chine » de l’île de Taïwan qui occupa le siège de la Chine à l’ONU, jusqu’en 1971, avant que ce ne soit la Chine populaire. De Gaulle n’avait pas attendu 1971 pour déclarer qu’il n’y avait qu’une seule Chine : la Chine populaire ; il le fit le 3 janvier 1964.
On peut noter qu’en ces temps (début des années soixante-dix, fin des Trente Glorieuses pour nous) où l’on vit aussi les États-Unis arrêter de nous amuser avec leur feuilleton « Un homme a marché sur la Lune », arrêter d’indexer le dollar sur l’or, et aussi l’ONU déclarer le sionisme raciste et colonial (ce que beaucoup de pays, en France en particulier, semblent avoir oublié, commerce et pognon obligent), les esprits des z-élites et des peuples semblaient moins embrumés qu’en notre temps. Qu’en nos temps et en Otan. Du moins dans le monde dit occidental.
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En conclusion, un peu abrupte : face à de multiples intérêts financiers internationaux (ou plus exactement apatrides) mutualisés, et des États (de plus en plus corrompus) qui marchent de concert avec la finance, le poids des peuples ne pèse plus grand-chose. Du moins dans la sphère de l’impérialisme dit occidental.
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