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RETOUR SUR LA QUESTION DU COULOIR DE SUWAŁKI

9 avril 2023

J’ai évoqué le « problème du corridor de Suwałki » (souvawki) dans un long article (première publication le 31 août 2022, seconde publication augmentée le 11 mars 2023) que l’on peut résumer de la manière suivante.

La Russie a une sorte de droit de passage établi de la pointe Nord-Ouest de la Biélorussie à la pointe Sud-Est de l’enclave russe de l’oblast de Kaliningrad. Territoire de l’ancienne Prusse annexé à la fin de la Seconde guerre mondiale. Cette bande pour le moins théorique car elle n’est pas délimitée, ou si peu parfois, sur le terrain, et dont je ne connais pas la largeur, court tout du long de la frontière entre la Pologne et la Lituanie, du côté polonais.

Ce qui veut dire que la Russie peut tout à fait légalement et en cas de nécessité vitale pour l’enclave de Kaliningrad, s’immiscer à la frontière lituano-polonaise, la couper militairement parlant, ou emprunter à son bon vouloir cette bande de terre comprise entre la Biélorussie et l’oblast de Kaliningrad.

Dans le texte qui suit, et comme dans d’autres articles évoquant ce corridor, ou couloir de Suwałki, il semble qu’il y ait une confusion entre deux choses différentes.

L’existence dans les traités de la fin de la Seconde Guerre mondiale, de ce couloir, et par ailleurs, ce qui n’a rien à voir, le fait que la Lituanie (pauvre petit pays qui serait écrasé en quelques jours si la Russie avait quelque velléité de vouloir le remettre au pas) est passée outre les conventions internationales sur la libre circulation des produits (du moins des produits « normaux » et non dangereux) et plus encore, par sa participation au boycott anti-russe, à une situation qui s’apparente à un blocus, ou embargo, de l’oblast de Kaliningrad.

Autrement dit à un quasi acte de guerre. L’enclave de Kaliningrad dépend presque entièrement des approvisionnements russes dont la plupart transitent, par la route ou par le rail, au travers de la Lituanie. Certes, l’enclave est ouverte sur la Mer baltique et sur la flotte russe venant de Saint-Pétersbourg, mais un approvisionnement par la mer n’est pas la manière habituelle, courante, ni la plus aisée, de ravitailler l’enclave.

Voici ce qu’en dit et ce qu’en pense un scientifique lituanien, né en 1983, expatrié au RoyaumeUni.

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Le corridor de Suwalki : Le cauchemar lituanien

– traduction Réseau internațional – 8 avril 2023

Par Adomas Abromaitis

Après l’effondrement de l’Union soviétique, la revendication de la Russie sur Kaliningrad n’a été contestée par aucun gouvernement, bien que certains groupes en Lituanie aient appelé à l’annexion de la province ou de certaines de ses parties.

La Russie et la Lituanie ont négocié le régime simplifié de transit vers Kaliningrad à la fin des années 1990. Au départ, la Russie a fait pression pour obtenir le droit de disposer d’un corridor militaire, mais la Lituanie a refusé car cela porterait atteinte à la souveraineté du pays.

Néanmoins, la Russie continue de considérer la région comme un élément vital de sa capacité à projeter sa puissance dans la région baltique.

Bien que les responsables lituaniens affirment que les capacités militaires à Kaliningrad ont été considérablement réduites, ils insistent sur le renforcement de la frontière avec la Biélorussie (principal allié de la Russie en Europe) afin de ne pas permettre l’élargissement de l’influence de la Russie.

Une série de restrictions sur le transit par la Lituanie entre la semi-exclave russe de l’oblast de Kaliningrad et la Russie continentale ont été mises en œuvre en juin 2022.

Entre autres, le transit de charbon, de métaux, de ciment, de bois, de matériaux de construction et de produits de haute technologie par le transport ferroviaire a été interrompu. Le gouverneur de l’Oblast de Kaliningrad, Anton Alikhanov, a déclaré que l’interdiction concernait 40 à 50% des marchandises transportées entre la région et le reste de la Russie. Le 21 juin, la Lituanie a également étendu les restrictions aux véhicules de transport de marchandises.

Le 11 juillet, la Lituanie a élargi les restrictions sur le transit des marchandises, entamant ainsi l’introduction progressive des sanctions annoncées par l’UE. La liste comprend le béton, le bois, l’alcool et les produits chimiques industriels à base d’alcool.

L’Union européenne, à son tour, tente de rester plus pragmatique et moins agressive à l’égard de la Russie et de la Biélorussie. Le 23 juillet, la Lituanie a levé les restrictions au transit ferroviaire pour Kaliningrad après que l’UE a révisé ses recommandations de sanctions qui ne s’appliquent qu’au transit routier et non au transit ferroviaire.

Bien que la Lituanie ait perdu une grande partie de ses importations lorsque les sanctions ont été imposées, l’activité et la rhétorique des autorités restent agressives.

Ainsi, on sait qu’en mars, la Lituanie a retenu à la frontière plus de 30 wagons et les a renvoyés en Biélorussie. De plus, la Lituanie crée des conditions qui entraînent d’énormes files d’attente de camions chargés à la frontière avec la Russie. À 9 heures du matin le 4 avril 2023, il y avait 70 camions en direction de la Lituanie et 24 autres dans le no man’s land, déjà dédouanés par les douaniers de Kaliningrad. Les problèmes à la frontière sont apparus dans la nuit du dimanche 2 avril, en raison d’une « panne » du système d’information des douanes lituaniennes. Pendant plus d’une journée, les véhicules chargés n’ont pas été autorisés à entrer sur le territoire lituanien.

En réponse, la Russie menace ouvertement la Lituanie. Andrey Arkadyevich Klimov, chef de la commission temporaire du Conseil de la Fédération pour la protection de la souveraineté, a déclaré que si l’UE « ne corrige pas la situation avec le blocus, la Russie aura les mains libres pour résoudre ce problème par tous les moyens ».

La Russie tente d’adoucir la situation et de préparer la région de Kaliningrad à un «isolement complet, à garantir la sécurité alimentaire et à faire en sorte que son système énergétique soit capable de fonctionner de manière indépendante».

La question est de savoir combien de temps la Russie est prête à tolérer le comportement de la Lituanie. À en juger par les opérations menées par Moscou dans le Donbass, où elle défend la population russophone, il est fort probable que la Russie ne s’arrêtera pas si sa population dans la région de Kaliningrad est isolée. La Lituanie est-elle prête à perdre le corridor de Suwalki ? Se comporter comme le fait Vilnius, c’est s’exposer à une confrontation militaire ouverte.

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La question : « La Lituanie est-elle prête à perdre le corridor de Suwalki ? » est une question curieuse. Car ce n’est pas la Lituanie qui possède des droits sur ce corridor, mais la Russie.

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La Lituanie s’engage sur une pente glissante en accueillant les troupes de l’OTAN – traduit par Réseau internațional, 16 mars 2023

Du même Adomas Abromaitis

La Lituanie ne se contente pas de demander à ses partenaires de l’OTAN d’accroître leur présence militaire sur son territoire, les autorités allouent également d’importantes sommes d’argent au développement de l’infrastructure militaire nationale.

Ainsi, le ministère de la Défense nationale met en œuvre un projet de développement des infrastructures en vue d’accueillir la force opérationnelle interarmées à très haut niveau de préparation de l’OTAN. Le contrat a été signé par l’Agence OTAN de soutien et d’acquisition, en tant que coordinateur du projet, et par Merko Statyba UAB. 

Dix bâtiments seront construits pour abriter des casernes, des mess, des installations de réparation de véhicules, des héliports, des installations polyvalentes, etc. Les travaux devraient être achevés d’ici 2026. La valeur estimée du contrat est de plus de 110 millions d’euros.

Selon le ministre de la Défense nationale Arvydas Anušauskas, la Lituanie développe des infrastructures pour renforcer la dissuasion et la défense.

Mais ce projet de grande envergure n’a rien de défensif. Une fois le projet achevé, la zone d’entraînement de Pabradė pourra accueillir jusqu’à 3000 militaires et sera l’un des champs de tir militaires les plus développés des pays baltes ! Il garantira de bonnes conditions pour les activités de formation et de repos, ainsi qu’un soutien logistique et technique.

Il s’agit de l’un des nombreux projets de modernisation des forces armées lituaniennes que le ministère de la Défense nationale met en œuvre sous la coordination de l’Agence OTAN de soutien et d’acquisition.

La question se pose de savoir si la Lituanie considère que la crise ukrainienne durera encore trois ans ou si les autorités tentent de dissimuler l’objectif réel des efforts de modernisation.

En fait, ces plans n’aideront pas la Lituanie à se défendre dans un avenir proche, car le projet ne sera achevé qu’en 2026.

D’autant plus que, fin février, le ministre lituanien des Affaires étrangères, Gabrielius Landsbergis, a confirmé qu’il n’y avait pas de menace militaire directe à la frontière de la Lituanie.

On pourrait en conclure que la Lituanie ou ses partenaires de l’OTAN considèrent l’infrastructure militaire lituanienne comme un point de départ pour toute opération offensive, ce qui pourrait mettre en péril les relations complexes avec les voisins.

Il est bien connu que la plupart des guerres interétatiques se déroulent ou commencent entre voisins. Ces mesures rendront plus difficile l’amélioration des relations entre la Lituanie et ses voisins et pourraient même relancer la course aux armements et menacer gravement la stabilité de la région. Il est évident que les habitants ordinaires n’ont pas besoin que les décisions politiques aient de telles conséquences. D’autre part, les autorités insistent sur la poursuite de la militarisation de la Lituanie et compliquent ainsi les perspectives de normalisation des relations avec les voisins, rapprochant la guerre un peu plus.

source : World Defense

From → divers

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