Le dernier bonhomme de neige de l’hiver. Par Olivier Mathieu
A quelques anciens compaings du temps de la MJC des grandes terres, Marly-le-Roi, hiver 1978-1979.
Petit poème né pour sourire à Villon (Testament, édition J. Rychner et A. Henry: « Mais ou sont les neiges d’anten? » et « Or luy soit delivré grand erre »).
L’erre (issu du latin iter, « trajet, route », ou déverbal de l’ancien verbe errer, « voyager »), c’est l’allure, la manière d’avancer, de marcher.
On trouve dans ce poème divers mots latins, « nix » (neige), « nox » (nuit), d’ancien français ou de moyen français.
« Neiger » vient du latin « nivicare », fréquentatif du bas latin « nivere », et provient plus exactement de « nix » (génitif nivis), «neige»; l’italien « nevicare » a la même origine. « Nivicare » se trouvait déjà en latin classique sous la forme « ninguere ». « Nivere » se retrouve encore en « nevre » dans le domaine franco-provençal; il existait aussi une variante « nivare » comme en attestent le provençal « nevar », mais aussi le catalan, l’espagnol, le portugais « nevar ».
« Neige » est le déverbal de neiger. Le mot « neige » a donc remplacé l’ancien français « noif » (que l’on trouve dans la Chanson de Roland) qui n’a plus été employé ensuite que dans quelques régions du domaine gallo-romain.
« Noif » est issu du latin « nix » (génitif nivis), «neige», tout comme le provençal antique « neu », mais aussi le catalan « neu », l’espagnol « nieve », le portugais « neve », l’italien « neve », le roumain « nea ».
Le mot « noif » a disparu parce qu’il est entré en collision homonymique avec « noiz » (terne d’ancien francais provenant du latin « nuce »).
Neige a également été préféré à l’ancien français « nive », en usage alors dans dans le nord et nord-est de la France, et provenant cette fois du latin « nivere », neiger.
Les vers « Soif de noif. Nix de nox. Lux nux. », ou encore « Neige en soif, nuit de neige et lumière d’aurore » ne sont donc pas des rots et des ruts de rap, mais poésie.
*
Soif de noif. Nix de nox. Lux nux. Nivait la neige.
Le ciel s’éparpillait en flocons sur la terre,
En étoiles de neige à la fin de l’hiver,
La neige, que j’aimais la regarder niver,
Soif de noif, lux en noiz, neigeait, neigeait la nive
Au bord de Seine, au Pont du Pecq, sur les deux rives,
Je n’étais à vingt ans qu’à l’aube de mon erre.
Depuis le très grand ciel tombait, tombait la neige,
Et dansait une fée aux purs reflets d’enfance
Et par ce temps de neige, un bonhomme de neige
Comme neige fondait dans le soleil immense.
Le ciel vibrait d’or pâle et semait en arpèges
Des nuages flottants voltigeant de lumière,
Tel fut le bel hiver au temps des grandes terres
Dont les compaings d’hier rien ne sont devenus
Et nul ne se souvient du bonhomme tout nu,
Que la neige aujourd’hui revienne et m’illumine,
Lui qui était couvert de blanche mousseline
Et des larmes de lait de ses grands yeux coulaient
De glace, en sucre, au goût de la neige à l’orange,
Neige en soif, nuit de neige et lumière d’aurore
Comme une ouate très douce à l’odeur qui décore
La neige de vanille en pas d’ange et mésanges,
Au temps des papillons de mes hivers d’antan,
Moi je savais déjà comme s’enfuit le temps.
Et à Marly-le-Roi c’était bonheur en noiz,
Marly qui n’était plus déjà en Seine-et-Oise.
Il neigeait à plein ciel, il noivait de la nèvre,
Immobilité blanche et la douleur aux lèvres.
La neige, que j’aimais la regarder niver.
Il n’y avait que lui, le bonhomme de neige
Et moi, deux pour pleurer la chair de neige aux vers.
Olivier Mathieu
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