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Nouvelle page de souvenirs

1 décembre 2022

Hier j’évoquais la présence de travailleurs maghrébins dans les travaux publics les plus déqualifiés et les plus pénibles, fin des années cinquante / début des années soixante. Ils étaient Marocains disait-on, et c’était avant l’arrivée des harkis.

J’aurais pu continuer sur ma lancée et dire que je me souviens encore de la première fois de ma vie où je vis un Noir « pour de vrai ». C’était dans l’avenue principale de ma cité. Je crois me souvenir que des gens se retournaient pour le regarder passer. Il était aussi exotique que les éléphants que parfois l’on rencontrait aux beaux temps lors de la parade de quelque cirque qui se tenait ici pendant quelques jours.

Il est probable que le Noir que je vis était un Noir américain, un militaire de la base qui se trouvait au petit aérodrome de la ville.

J’ai le souvenir encore des jeeps amerloques que l’on voyait parfois passer à côté de chez nous. J’ai même le souvenir qu’un jour, parfaitement anachroniques et mendiants indigènes, on avait fait à plusieurs, en haut de la côte au bout de chez nous, le V de la victoire pour qu’ils nous lancent de la gomme à mâcher, comme on dit au Canada. Honte de rien, colonisés, animaux de cirque nous aussi. Mais, ils ne nous avaient rien lancé. Ils étaient sur le départ. Peut-être déjà fâchés.

Il m’a fallu attendre la fin des années soixante, le début des années soixante-dix pour voir des Réunionnais généralement très chevelus ; c’était tout un contingent de jeunes venus fréquenter un centre AFPA.

Je ne suis retrouvé avec l’un d’entre eux à faire des vendanges en Touraine, véritable expédition dans un car tellement chargé qu’il n’a pas pu s’arrêter sur sa lancée au premier feu rouge au sortir de la ville.

Vendanges aux conditions spartiates. C’est là que j’ai appris la seule phrase (qui m’est restée, plus ou moins bien enregistrée) de créole réunionnais : « andalouf mélil bousar », que mon Réunionnais de rencontre m’a traduit par : « allons faire l’amour au bois ». « Andalouf » fait penser à « andar », « marcher » en espagnol ; « mélil » à « mêler » et « bousar » à « bois », « brousse ». « Allons nous mêler au bois ».

Je me mis à fréquenter une plus grande ville, Nantes, et là je vis les quelques premiers Noirs qui vendaient devant les RU, les « restau » universitaires, et dans le centre-ville, des babioles et fanfreluches, objets en cuir divers, ceintures, sacs, masques, dont j’ai su plus tard qu’ils allaient les acheter en gros à Paris.

Rigolo, ils nous vendaient de la verroterie et des objets d’un sou, fabriqués je ne sais où, peut-être en France à l’époque, ou déjà dans quelques pays exotiques et … non-africains. Petite revanche du colonisé venu survivre en Europe, en petit commerçant des rues, payant sa patente quotidienne à la police municipale.

C’est là aussi que j’ai vu les très rares Noirs (les mêmes) qui conduisaient une voiture, pour transporter tout leur matériel, voitures usées, en mauvais état. J’ai fini par les croiser ailleurs, par chez moi quelques années plus tard, ou encore sur la côte en été.

Je n’ai pas le souvenir, dans mes propres études universitaires, à la « fac », d’avoir rencontré un seul non-européen. Ni beaucoup de non-Français. J’ai eu avec moi en cours un portugais. C’était l’époque (même déjà depuis quelques années) de l’arrivée de Portugais dans le bâtiment, ils construisaient les premiers grands immeubles de la ville.

J’ai également connu et fréquenté un Espagnol ; c’était avant la mort de Franco quand nombre d’Espagnols avaient quitté leur pays pour au moins se sentir un peu plus libres.

Ce Portugais repartit chez lui avec une licence, laissant tomber la fille autochtone avec qui il vivait. Cet Espagnol fit de même, avec une maîtrise, laissant tomber sa femme autochtone et ses deux enfants. Le second prétendit des problèmes de « métabolisme » ; métabolisme qu’il entretenait à la bière et au vin. Ils sont devenus tous les deux enseignants dans leurs pays respectifs.

Les étudiants noirs ou métis des îles étaient assez rares et vivaient en tribus dans les cités universitaires, mangeant entre eux. À cette époque on pouvait rencontrer, mais rarement, des filles du cru avec des Noirs ; je m’en souviens d’une en particulier qui avait passé son bac en même temps que moi ; je ne voudrais pas généraliser, mais je dois dire que si des Noirs pouvaient se retrouver avec des Blanches, je n’ai jamais vu alors (ce qui est encore assez rares de nos jours) de Noires avec des Blancs.

Le plus « folklo », détonnant, était un Noir connu de tous qui fréquentait plus les cités (dont de jeunes filles, mais en vain) et restaurants universitaires qu’autre chose. Un glandeur comme il y en avait tant et tant à la fac ou autour des facs, les parasitant. C’était un personnage haut en couleurs si je puis dire, un gambien qui avait déjà traîné du côté du Royaume Uni, et qui essayait désespérément, et depuis un certain temps déjà, de réussir au concours d’entrée à la « fac ».

Il avait eu quelques histoires pour avoir essayé d’endormir deux étudiantes avec je ne sais quel produit, pour essayer de « se les faire ». Petit gros, alors que tout le reste de sa famille était constituée de grands minces, nous avait-il dit, il n’attirait pas vraiment les filles. Maoïste hystérique convaincu, et particulièrement borné, je lui avais demandé un jour ce que c’était pour lui que la lutte des classes. Il a serré ses deux poings et les a frappés l’un contre l’autre. Avec lui, la dialectique cassait des briques.

Ou pouvait. On ne savait pas lui donner d’âge, mais il était peut-être plus près de la quarantaine que de la vingtaine et quelques années plus tard, j’ai appris qu’une tentative de révolution en son pays s’était soldée par la mort de quelques centaines de rebelles. J’ai toujours pensé qu’il avait été dans le tas. À moins qu’il n’ait jamais quitté la France, vivant de je ne sais quoi. Sans doute pas d’une aide d’un consulat de Gambie qui n’existait pas.

Puis au milieu des années soixante-dix, quand je fus « incarcéré » dans une caserne angevine afin d’y effectuer mes classes, c’est là que j’ai rencontré pour la première fois (et la dernière d’ailleurs) des Kanaks. La plupart n’était pas des demi-portions, restaient entre eux, et ne donnaient pas vraiment envie de les fréquenter.

Le premier soir où j’ai dormi à la caserne, je me souviens d’en avoir surpris un, essayant de nous « piquer » nos affaires et plus précisément de l’argent. Voilà les seules relations que j’ai eu avec les Kanaks.

Je pourrais continuer sur le même thème. Mais cela deviendrait plus commun. J’aurais quand même envie, avant de clore sur le sujet, de dire que c’est bien plus tard, ces dernières années, que j’ai rencontré, auprès de la masse des franchouillards, indigènes ou non — bleus, blancs, rouges, verts, noirs, jaunes ou incolores — les plus improbables et contournés, qui ont su donner enfin toute leur mesure : les sous-hommes intégraux du transhumanisme.

Je les appelle les zombies. Ce sont tous ceux qui non contents de se masquer et de se piquouser à foison, en ont rajouté et en rajoute encore dans la veulerie imbécile. Le cabinet médical que je fréquente exige un masque encore, et le personnel de la pharmacie que je fréquente reçoit ses clients masquée. Et l’on croise encore, dans les magasins et dans la rue, des masqués !

Et par ailleurs, j’ai d’énormes doutes sur la qualité du jeune médecin qui me reçoit. J’y suis tenu, il est très difficile de changer de médecin, c’est la pénurie partout. Et les autres sont-ils mieux, même les vieux dans le métier ? Enfin, je me retiens de lui dire que si j’avais écouté son « bon conseil », son très insistant conseil, me faire piquer (j’avais le choix, me disait-il, même Johnson & Johnson…) je ne serais sans doute plus là. Et qu’il aurait perdu par là même un patient, pardon… un client. Mais il doit s’en moquer, dans ce domaine, il n’y a pas de manque ! Et c’est qu’il insistait le crétin, il voulait son petit ou gros billet de la Sécu…

From → divers

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