Page de souvenirs fragmentaires.
En passant devant ma petite école, là « dès à matin », du moins celle que j’ai fréquentée trois ans avant d’aller en sixième, école de mon quartier qui a été inaugurée l’année même où s’y suis entré (celle d’avant était dans des baraques d’après-guerre), j’ai repensé d’un seul coup, dans un demi-brouillard d’hiver pas bien chaud qui m’avait fait mettre ma casquette, que nous n’étions que quatre alors à entrer en sixième, de ma classe de CM2, celle du Père Houguet, alors jeune petit bonhomme dont j’ai gardé bons souvenirs, mais qui est mort déjà depuis des années, finissant sénile avant l’âge.
On était entré tous les quatre sur dossier. C’était à l’automne 1961. Il y a peu d’années ma curiosité m’a fait rechercher ce qu’étaient devenus ces gars-ci. Je précise que l’école publique était séparée entre filles et garçons, plus maternelle « miste » comme disait Coluche. On ne voyait les filles que de loin alors. Du moins à l’école.
À moins de m’être trompé sur les personnes, j’ai retrouvé ce qu’ils étaient devenus.
Le preume de la classe B. dont j’ai oublié d’un seul coup le prénom, mais ça me reviendra, sans doute, était parti du côté de la Normandie et avait été ingénieur dans une centrale nucléaire. (En relisant, je viens de retrouver son prénom : Gérard).
Le deuze, Patrick M. dit Patou, est devenu médecin en gérontologie ; là j’en suis sûr, j’ai eu des informations précises car nous étions tous les deux petits-cousins, sa mère était la cousine germaine de ma mère. Il était parti du côté de Vannes par là.
Le troize, c’était mézigue. Enfin pour la place de deuxième ou de troisième, c’était disputé entre les deux petits-cousins, mais moi j’étais le plus souvent perdant à cause d’une écriture et de « soins » déplorables. Depuis le CP déjà ! Au départ, je crois, une myopie ignorée ou négligée.
Le quatre, c’était Jean-Michel B. Il n’est resté qu’un an au collège et a dû réintégrer l’école en classes de fin d’études primaires. Je me soutiens avoir joué quelquefois avec lui alors que l’on ouvrait une rue en travers, au fond même du jardin de mes parents. Totalement inconscients, on se promenaient dans des tranchées. À l’époque elles étaient généralement creusées, à la pelle et à la pioche, par des Maghrébins ; des hommes qui vivaient en France loin de leur famille, mais qui ne faisaient pas de bruit.
Oui, c’était de l’inconscience, la mienne et plus encore celle de mes parents qui me laissaient jouer dans des tranchées qui faisaient deux ou trois mètres de profondeur, à la merci d’un glissement de terrain. Mais savaient-ils seulement que j’y traînais ?
Et pour en revenir à cet ex-copain, de peu de temps finalement, qui habitait à deux minutes ou trois de chez moi, de chez mes parents, je pense avoir découvert, ces dernières années, qu’il était devenu jardinier municipal, à Nantes.
Les deux premiers « firent latin » et je suppose plus tard « allemand ». Moi, j’étais plus « moderne », sans latin et plus tard ma seconde langue vivante fut l’espagnol. Celle avec laquelle j’ai eu mon bac.
Mon anglais était déplorable et pour tout dire j’étais fâché avec ; et n’avais aucune sympathie pour la langue de ceux qui pendant la guerre détruisirent en très grande partie la ville où j’ai vécu toute ma jeunesse. Les Anglais et les Américains. Je ne l’ai pas vécu, cette guerre, mais j’ai vécu la Reconstruction dans une petite ville en lambeaux.
Pourtant j’avais copiné quelques mois à l’école avec un Américain plus âgé que moi et au français très hésitant, dont le père était militaire dans une base que De Gaulle n’avait pas encore fait fermer. Je lui donnais par écrit en classe une phrase à traduire et il me la rendait traduite en anglais, ce qui finalement ne servait qu’à entretenir mon exotisme puisque je ne savais pas la prononcer. Qu’est-il devenu, lui devait avoir déjà douze ou treize ans quand je n’en avais que neuf ?
Mais cette guerre me fut tellement racontée à satiété, toutes ces misères de guerre subies, ces morts, ces tristes anecdotes, par mes parents, que j’ai fini pendant des années à faire des cauchemars dans lesquels des avions me balançaient des bombes sur la tête que je cherchais à éviter.
Quant à moi, ce que je suis devenu, c’est gratouilleur de papier nostalgique. Ayant toujours conservé ma mauvaise écriture. Mauvaise graphie, parfois illisible par moi-même (ou tapoteur en vrac de touches, suite « au progrès »), et écrits, en règle générale, non estampillés.
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