DE QUELQUES EXERCICES SPIRITUELS
À Maurice Rollinat,
« diable en acier » *
*
Moi qui suis né si tard, trop vieux de tant de rêves,
Mené par l’illusion, le fugace des grèves,
Nostalgique d’un temps intangible et pérenne,
Je déchante en moments qui brisent ma carène :
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Les vers de Baudelaire, en soi, que je préfère, **
Les plus prompts à vouloir si tôt me satisfaire,
Sont très lourds ou trop clairs ; et leurs dits et redits
Ont la morgue sévère, à moirer, d’érudits.
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Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre
Mais déjà le futur cisèle, en moi, sa bière ;
Je hais le mouvement qui déplace les lignes
Or le temps fend ma roche en fissures indignes.
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Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris
Car je vis impavide un vide à mes paris,
Ôtant à mes amants mes vertus maternelles :
Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles !
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Homme libre toujours tu chériras la mer,
La matrice des eaux qui brassent le mystère,
Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer,
Qu’il te tombe du ciel ou naisse de la terre.
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La forme d’une ville, éphémère chimère
Constamment violentée aux jours déjà d’Homère,
Change plus vite hélas que le cœur des humains,
Brise nos souvenirs, en deuil des lendemains.
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Rappelez-vous l’objet que nous vîmes, mon âme,
Ce beau matin d’été si doux sans amadou :
Au détour d’un sentier une charogne infâme
Florissait nos amours à l’huis franc d’un mas d’août.
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* Expression de Jules Barbey d’Aurevilly, pour qui Baudelaire fut par ailleurs « diable en velours ».
** Et non pas : Les vers de Baudelaire à soie…
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