Le jour où la patience de la Russie a pris fin
Publié le février 24, 2022 par Le Saker Francophone
https://lesakerfrancophone.fr/le-jour-ou-la-patience-de-la-russie-a-expire
Par Dmitry Orlov – Le 22 février 2022 – Source Club Orlov
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(JPF) Qui est l’auteur ?
Dmitry Orlov est un russo-nord-américain né en 1962 à Leningrad qui s’est retrouvé aux États-Unis à l’âge de douze ans où il devenu ingénieur et écrivain. Ses écrits ont pour sujet le déclin et l’effondrement économique, écologique, politique, culturel, moral, humain… potentiel des États-Unis et finalement de ses affidés en grande partie européens. Du mondialisme et de l’impérialisme occidental.
Plus généralement, il est l’initiateur de la collapsologie — c’est-à-dire l’étude de l’effondrement des sociétés ou des civilisations — avec son ouvrage fondateur : Les cinq stades de l’effondrement (2013). L’insolvabilité financière, la pénurie alimentaire, la corruption des gouvernements et de l’administration, la perte des liens sociaux et la guerre civile, la perte de toute humanité. Auxquelles il ajoute maintenant l’effondrement écologique.
« Collapsologie » est un néologisme d’origine anglaise ; de collapsus, effondrement, ruine, destruction, etc, qui n’est autre que le participe parfait (passé accompli, achevé) du verbe latin collabor, s’écrouler, tomber, (d’un gouvernement) être renversé… verbe composé de cum labor, avec peine, fatigue, labeur, travail…
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La date d’aujourd’hui, communément écrite 22.02.2022, sera facile à retenir pour les futurs écoliers. Diverses personnes s’en souviendront de diverses manières. Les habitants de Donetsk et de Lougansk, les deux villes anciennement ukrainiennes, aujourd’hui redevenues russes, qui ont été soumises à des conditions proches du génocide depuis le renversement du gouvernement [ukrainien] par les États-Unis en 2014, se souviendront d’avoir dansé dans les rues avec jubilation, tiré de nombreux feux d’artifice, brandi des drapeaux russes et hurlé l’hymne national russe. Pour eux, c’est le jour où est arrivé un nouvel espoir que leur cauchemar qui dure depuis huit ans sera bientôt terminé et que la vie reviendra enfin à la normale.
Le nouveau chancelier allemand, mal informé, a involontairement contribué à cette situation en déclarant que l’idée d’un génocide causé par les Ukrainiens dans le Donbass est ridicule. Compte tenu de l’histoire de la région, le spectacle public d’un dirigeant allemand utilisant les mots « génocide » et « ridicule » dans la même phrase a rendu ce moment riche en possibilités.
Voici l’information qui manquait à ce chancelier, apparemment assez faible d’esprit. Il y a eu 9.282 morts du côté du Donbass (dont 70 % de civils) et 114 enfants. Les morts du côté ukrainien (les troupes ukrainiennes et divers mercenaires assortis qui attaquaient et assiégeaient le Donbass depuis 2014) étaient au nombre de 20.186. Et ce, avant la reprise des bombardements ukrainiens de ces derniers jours. On comptait également plus de deux millions de réfugiés du Donbass en Russie, plus d’un million en Ukraine et environ 50 000 en Biélorussie.
La plupart des Russes se souviendront également de ce jour avec soulagement, car c’est le jour où leur gouvernement a enfin – enfin ! après huit années littéralement sanglantes – décidé qu’un règlement négocié en Ukraine n’aurait tout simplement jamais lieu et qu’il était inutile d’attendre davantage pour aller de l’avant et faire le ménage.
C’était cathartique pour eux d’entendre leur président déverser un torrent de vérité sur l’Ukraine, la qualifiant de concoction bolcheviste de terres historiquement russes pour la plupart *, qui n’a tout simplement jamais été destinée à devenir un État indépendant, soulignant qu’elle n’a jamais payé sa part de la dette extérieure de l’ère soviétique (la Russie l’a payée pour elle), qu’elle a refusé de remettre les actifs russes avec lesquels elle s’est incidemment retrouvée, et a plutôt absorbé plusieurs centaines de milliards de dollars de subventions russes, qu’elle a extorqué de l’argent pour l’utilisation de son gazoduc de construction soviétique qu’elle a obtenu gratuitement, et qu’elle a dilapidé et volé le reste de son vaste patrimoine soviétique.
Il a également mentionné les ambitions déclarées de l’Ukraine de rejoindre l’OTAN et d’envahir la Crimée, ce qui déclencherait automatiquement une guerre mondiale. Il a mentionné l’ambition déclarée de l’Ukraine d’utiliser le plutonium provenant de ses stocks de combustible nucléaire usé et de ses fusées datant de l’époque soviétique pour concocter des armes de destruction massive – une situation à laquelle il fallait tout simplement faire face.
Enfin, il a clairement indiqué que tous les crimes de guerre ukrainiens des huit dernières années ont été soigneusement documentés et que tous ces criminels de guerre seront traduits en justice.
Ce discours est intervenu peu de temps après une session télévisée du Conseil de sécurité russe au cours de laquelle tous les principaux ministres ont pris la parole et se sont tous prononcés en faveur de la reconnaissance des républiques populaires de Donetsk et de Lougansk.
Le Premier ministre Mishustin a déclaré qu’ils se préparaient depuis un certain temps aux inévitables retombées et qu’ils y étaient prêts, alors faisons-le. Le ministre des affaires étrangères, Sergei Lavrov, interrogé sur l’opportunité de poursuivre les négociations avec l’Occident au sujet de l’Ukraine, a répondu que c’était « une question de goût », mais que rien n’en sortirait jamais. Et le ministre de la défense Shoigu a simplement dit, très calmement : « Allons-y. Faisons-le. »
La réponse à la question de savoir pourquoi la Russie a attendu si longtemps pour prendre cette mesure est qu’elle n’était pas prête : l’économie russe n’avait pas encore été blindée contre toutes les sanctions possibles ; toutes les méthodes diplomatiques pour résoudre le problème n’avaient pas été essayées ; et l’armée n’était pas tout à fait prête à gérer la situation rapidement et efficacement.
Puis vint la cérémonie de signature, au cours de laquelle Vladimir Poutine, Denis Pushilin de la République populaire de Donetsk et Leonid Pasechnik de la République populaire de Lougansk ont signé les documents leur accordant la reconnaissance. Dans ces ordres d’une page figurait un ordre de Poutine à l’armée russe de pourvoir à l’établissement de la paix.
Une question très intéressante se pose quant aux frontières dans lesquelles cette paix sera établie. Voyez-vous, après le renversement anticonstitutionnel du gouvernement démocratiquement élu à Kiev en 2014, Donetsk et Lougansk ont fait sécession en tant que régions intactes. Plus tard, au cours de l’« opération anti-terroriste » de Kiev (le préfixe « anti- » étant ici plutôt superflu), ces régions en sont venues à être partiellement occupées par les forces ukrainiennes. Il semble absurde d’imaginer que la Russie, en reconnaissant l’indépendance et la souveraineté de Donetsk et de Lougansk, ait également reconnu l’occupation partielle de ces régions par l’Ukraine. Il est beaucoup plus probable que les forces russes demandent maintenant poliment aux forces ukrainiennes de quitter les lieux avant une certaine date limite ou, à défaut, d’être tuées ou capturées.
Enfin, les dirigeants occidentaux ne s’en rendront peut-être pas compte tout de suite (ils semblent être dans un état mental plutôt désastreux), mais il est probable qu’ils finiront par réaliser que le 22.02.2022 a été le jour où leurs conneries [sic] ont définitivement cessé de fonctionner. L’idée qu’ils répandent la liberté et la démocratie plutôt que la mort et la misère (comme le prouve l’Ukraine, en plus d’une longue liste d’autres pays qu’ils ont « libérés » et « démocratisés ») est plus qu’absurde.
L’idée que les États-Unis sont un hégémon mondial et qu’ils peuvent dicter leurs conditions à tout le monde a fondu comme neige au soleil. L’unité de l’OTAN n’est qu’un couple de mots sans signification sur un morceau de papier. Dire des bêtises, comme exiger que la Russie respecte les termes des accords de Minsk (selon lesquels elle n’a aucune obligation) n’a aucun effet.
Il leur faudra peut-être un peu plus de temps pour se rendre compte qu’imposer des sanctions supplémentaires à la Russie est un excellent moyen pour eux de payer le pétrole 200 dollars le baril tout en se gelant dans le noir. À un moment donné, ils se rendront également compte qu’ils n’ont pas d’autre choix que d’accorder les garanties de sécurité exigées par la Russie, car ils l’ont déjà fait, en paroles et en actes, et qu’il n’est pas possible de se soustraire à leurs engagements en matière de sécurité.
La courbe d’apprentissage sera assez abrupte pour eux et on peut se demander s’ils sont capables d’apprendre. La seule capacité qu’ils ont démontrée est celle de répéter la même litanie de mensonges, encore et encore. Ayant été élevés à dessein pour servir les intérêts des banques et des entreprises, ils ne sont peut-être pas capables du niveau requis de pensée rationnelle. Et cela soulève une autre question : Qu’est-ce que les peuples occidentaux vont faire à leur sujet ?
Traduit par Hervé, relu par Wayan, pour le Saker Francophone
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* (JPF) L’auteur fait allusion à la création plus ou moins artificielle dans les années qui ont suivi la révolution bolchevique d’une entité ukrainienne élargie à des contrées à forte présence russe.
En fait l’Ukraine est une nation qui a été ballottée avec des frontières mouvantes, des découpages divers, entre pays qui l’ont dominée pendant plusieurs siècles. Je n’entre pas dans les détails. Ce qu’il faut retenir est que c’était un pays essentiellement terrien, peu ouvert sur la Mer Noire, aux côtes longtemps tenues par d’autres peuples tels les Tatars et autres peuples turcophones. Ou même par des Roumains au Sud de la Moldavie.
Sans parler de l’époque relativement ancienne où une partie du Sud était le pays des Cosaques Zaporogues, descendants de serfs ayant fuit la République des Deux Nations réunissant le royaume de Pologne et le Grand-Duché de Lituanie. L’ancien territoire des Cosaques (qui fut une république parlementaire puissante avant de céder devant plus forts), du moins une portion de celui-ci, est représenté de nos jours par l’oblat de Zaporijia qui jouxte à l’Ouest l’oblat de Donetsk.
C’est d’ailleurs à l’extrémité Est de l’oblat de Zaporijia que se situe le village de Houliaïpole dont était originaire Nestor Makhno, un descendant de Cosaques, le dirigeant de la Makhnovchtchina, l’Armée révolutionnaire insurrectionnelle ukrainienne (1917 – 1921) formée de communistes libertaires opposée aux russes blancs, alliée de l’Armée rouge avant que cette dernière ne l’extermine.
Un dernier point, sur la Crimée et la ville de Sébastopol : la péninsule était russe quand Krouchtchev eut la « bonne idée » de les rattacher à l’Ukraine (en 1954). Il faut savoir qu’en 1991, la Crimée obtient le statut de République autonome de Crimée au sein de l’Ukraine indépendante et Sébastopol devient une ville à statut spécial.

NB le découpage des oblats est celui du découpage officiel. Actuellement les territoires des deux républiques populaires du Donbass sont réduites peut-être de moitié voire plus à cause du conflit initié en 2014.
À remarquer également : mis à part Odessa (ville où une certaine présence russe existe également) les ports sur la Mer Noire ne sont pas les cités les plus importantes des oblats du Sud de l’Ukraine. L’autre port peut-être le plus important est Marioupol dans l’oblat primitif du Donetsk, et en voie d’être réintégré à la république du même nom.
Pour être complet sur la présence russe, il faut ajouter à cette carte l’entité russophone de Transnistrie, étroite langue de terre qui s’est plus ou moins détachée de la Moldavie et qui est située entre la partie Est de la Moldavie et l’Ukraine.
Complètement à l’Ouest de l’Ukraine, dans et autour de l’oblat de Lviv, l’ancienne Galicie, se trouve il semble bien le principal foyer ultra-nationaliste du pays. C’est sans doute aussi la région où l’on ne parle pratiquement qu’ukrainien. (voir un prochain article au sujet de l’ukrainien, la langue).
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