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LAO-TSEU – TAO TÖ KING (SUITE ENCORE)

25 juillet 2014

Simple rappel : Voici à suivre, la troisième neuvaine de ma version des poèmes aphoristiques de Lao-Tseu ; simple mise en forme plus poétique d’une traduction originale d’un chinois francophone –- Liou Kia-Hway –- dont j’ai précédemment donné référence ; traduction étant déjà trahison, j’espère que mon adaptation ne s’écarte pas trop de l’esprit d’origine ; je rappelle qu’il s’agit d’un premier jet ; beaucoup de variantes devraient passer à la trappe de la critique et il n’est pas sûr que les non-variantes soient toutes de la version définitive. La langue chinoise n’étant pas flexionnelle et comportant peu de mots-outils, à la différence des langues de nos contrées ; son écriture ignorant les signes de liaison ou la ponctuation ou encore les majuscules ; concise, avare de mots et de syllabes ; pour ne pas dire parfois elliptique et liée au contexte ; donc d’un certain flou poétique, à ma manière j’entretiens volontairement cette réalité en négligeant l’essentiel de la ponctuation, au moins pour l’instant.

*

XIX

*

Rejette l’intellect et les savoirs

Le peuple en tirera bien plus de bénéfices

*

Rejette la bonté et la justice

Le peuple reviendra par l’amour parental

Et la piété filiale au culte familial

*

Rejette l’industrie et ses profits

Les voleurs et bandits à rien seront réduits

*

Mais si ces trois principes

Restent insuffisants

Préconise ceci :

*

Discerne le plus simple étreins le naturel

Réduis ton égoïsme et freine tes désirs

*

Notes :

ligne 1 ; variante : Rejette l’intellect et artifices.

ligne 2 : Il ne faut pas faire de contre-sens, Lao-Tseu n’évoque pas ici un en-deçà, un pire, un en-dessous, mais un au-delà, un mieux ou un meilleur, un au-dessus du devoir taoïste. Un nec plus ultra. Bon sens et naturel et non combine et esprit tordu, ou non pas même compassion et humanisme, et encore moins exploitation et commerce. Contre la domination par l’instruction et plus encore par la vraie ou fausse érudition coupeuse de cheveux en quatre (cf. XX), par la sagesse même, et par l’argent bien évidemment. Pas de « théorie des intellects » comme on disait au moyen-âge en évoquant les universaux : les concepts généraux, les grands mots et grandes idées. Mais un instinctuel pondéré par la raison socialisée et la réflexion sur soi-même et sur les (bons et mauvais) désirs ; mauvais désirs : entre autres, ceux qui relèvent de l’industrie et des profits. Il prône la saine innocence du petit enfant, l’esprit d’enfance (cf. la fin de XX).

ligne 5 : ajout d’une glose dans le texte : au culte familial.

ligne 9 ; variante : Demeurent vains.

ligne 12 ; variante : Réduits ton égoïsme éreinte tes envies.

*

XX

*

Abandonner l’étude

C’est laisser là tous les tracas

*

En quoi diffère oui et non ?

En quoi diffère bien et mal ?

*

L’étude (il faut se dire) est redoutable

Et des gens redoutée

À demeurer interminable

*

Le monde est excité le monde est exalté

Comme au festin du plus grand sacrifice

Comme en montant les marches du printemps

*

Moi seul imperturbable

En nouveau-né qui n’a pas encor… ri

Moi seul je vais errant

Sans but précis en homme sans logis

*

Si chacun tient sa richesse

Je parais seul démuni

J’ai l’esprit d’un ignorant*

Celui-ci est bien trop lent

*

Si chacun est clairvoyant*

Seul je reste obscurité

*

Si chacun est perspicace

Moi seul ai l’esprit voguant

À flotter comme la mer*

À souffler comme le vent

*

Si chacun tend vers son but

Moi seul ai l’esprit confus

*

Tel celui d’un paysan

De tout un chacun moi seul diffère

Car je tiens bien à téter ma mère

*

Notes :

ligne 2 ; variantes : Abandonnez l’étude / Laissez ici tous les soucis ; ou : Laissez ici tracasseries.

ligne 5 : ce qui est entre parenthèse est une glose.

ligne 10 ; variantes : Comme au festin du premier sacrifice ; Comme en montant aux marches du printemps ; Comme en montant les degrés du printemps.

ligne 12 ; variantes : En nouveau-né qui n’a pas ri encore ; En nouveau-né qui encor n’a pas ri.

ligne 15 ; variante : Si chacun a sa richesse.

ligne 16 ; variante : Moi seul parais démuni.

ligne 18 ; variante : Car celui-ci est très lent.

ligne 20 ; variantes : Moi seul reste obscurité ; Seul je reste un obscurci.

lignes 22 à 24 ; variantes : Moi seul ai l’esprit voguant / Qui flotte comme la mer / Qui souffle comme le vent.

ligne 26 ; variante : Moi seul est d’esprit obtus.

lignes 28 et 29 ; lot de variantes : Moi seul de tout un chacun diffère ; Car je tiens à bien/tout/tant téter ma mère ; Car je tiens toujours bien à tant/tout téter ma mère.

*

XXI

*

Ce qui fait grand’ vertu

Est le lien exclusif au tao

*

Le tao est fuyant il est insaisissable

Insaisissable et fuyant il a pourtant quelque image

Insaisissable et fuyant il est pourtant quelque chose

*

Étant profond obscur il contient quelque essence

L’essentiel de vérité qui comporte l’efficience

*

On le comprend en observant

Le germe de tout être

*

Mais connaître comment

Le germe de tout être ?

*

Par tout ce qui précède.

*

Note :

ligne 12 ; variante : Par tout cet énoncé.

*

XXII

*

Qui peut plier va demeurer entier

Et se courber saura se redresser

Et se creuser sera bon à remplir

Qui veut s’user se renouvellera

*

Qui guère embrasse a connaissance sûre

Qui moult embrasse un doute le pressure

Aussi le sage englobant l’unité

Demeure-t-il modèle pour le monde

*

Il ne s’exhibe pas mais il rayonnera

Et ne s’affirme pas mais il s’imposera

Ne se glorifiant pas mérite reconnu

Et ne s’exaltant pas en un chef devenu

*

Comme il ne veut rivaliser avec personne

Aucun ne peut rivaliser avec lui-même au monde

*

« Qui peut plier demeure entier »

L’ancien dicton pourrait-il donc être un vain mot ?

Non c’est par là qu’on garde son intégrité

*

Notes :

ligne 3 ; variante : Et se creuser sera qui s’emplira ; Et se creuser sera bon à combler.

ligne 5 ; variantes : Qui peu embrasse acquiert juste savoir / Qui peu/faible embrasse connait avec justesse. Cf. ici, le vieil adage français : Qui trop embrasse, mal étreint.

ligne 6 ; variante : Qui trop embrasse en tombe dans le doute.

ligne 7 ; variante : Aussi le sage embrassant l’unité.

ligne 8 ; Demeurera modèle pour le monde ; Demeurera le modèle du monde ; Demeurera pour le monde un modèle ; Demeurera modèle au monde.

lignes 11 et 12 ; variante : Ne se glorifie pas mérite reconnu / Et ne s’exalte pas en un chef advenu.

ligne 14 ; variante : Avec lui-même aucun ne peut rivaliser au monde.

ligne 15 ; variante : Qui peut plier entier demeurera.

ligne 16 ; variante : L’ancien diction serait-il donc vaine parole ?

ligne 17 ; variante : Non, car on garde son intégrité par là.

*

XXIII

*

Bien peu parler c’est la nature

*

Un coup de vent jamais ne dure

La matinée

Rien qu’un instant la giboulée

De la journée

*

Qui les produit sinon le ciel

Sinon la terre ?

*

Actes du ciel et de la terre

Qui ne perdurent

L’action humaine en fait de même

*

Qui s’élève au tao

Le tao le reçoit

Qui va vers la vertu

*

La vertu le reçoit

Qui s’abaisse à sa perte

Sa perte le reçoit

*

Notes :

ligne 1 ; confère le vieil adage français : « parler peu et parler bien ».

ligne 2 ; variante : en nul ne dure.

ligne 4 ; variante : Tombe un instant la giboulée.

ligne 10 ; variante : … en fait autant.

*

XXIV

Qui dressé sur ses pieds fait des pointes

Ne tiendra pas longtemps debout

Qui d’un pas élargit ses compas

N’atteindra pas jusqu’à l’about

*

Qui s’exhibe

Ne saurait rayonner

Qui s’affirme

Ne saurait s’imposer

À qui se glorifie

Ne sera reconnu nul mérite

Qui s’exalte

Ne sera pas un chef

*

Tous ces comportements

Répugnent au tao

Tels les reflets de table

Et les tumeurs des corps

Pour le commun des hommes

*

Celui qui suit la loi de la nature

Ne mettra pas cela dans sa demeure

*

Notes :

ligne 4 ; variantes : Point ne courra jusques au bout ; N’atteindra point jusqu’à l’about ; N’en atteindra jamais l’about.

ligne 10 ; variante : Ne sera reconnu nul talent.

ligne 12 ; variante : Ne deviendrait un chef.

ligne 14 ; variante : Répugnent le tao.

ligne 15 ; variante : Tels les déchets de table.

ligne 19 ; variantes : N’aura jamais cela dans sa demeure ; N’aura jamais cela dans sa masure.

*

XXV

*

Un indéterminé préexistait au monde

Et présida à son éveil

Muet vacant indépendant inaltérable

Et circulant partout sans se lasser jamais

De l’univers ce doit être la mère

*

Ne sachant pas comme il se nomme

Tao je le surnomme

M’efforce à l’appeler grandeur

Grandeur est extension

Puis l’extension éloignement

Et cet éloignement exige le retour

*

Grands le tao le ciel la terre et l’homme

En cela l’homme est l’un des quatre grands

Du monde

*

L’homme imite la terre elle imite le ciel

Il imite un tao qui n’a qu’un seul modèle

Lui-même

*

Notes :

ligne 2 ; glose intégrée au texte et qui annonce le vers : « De l’univers, etc. »

ligne 6 ; variante : Ne sachant pas quel est son nom. Et « comme » pour « comment », licence poétique. Cf. : « … comme y fournirez-vous ? » « Mais comme voudriez-vous qu’une âme… ? », expressions employées par citées in Les Œuvres de François de Malherbe avec les observations de Mr.[sic] Ménage, etc. L’Amour Médecin de Molière, acte I, scène 2 ; Sganarelle interpelle Lucinde qui est à sa fenêtre en ces termes : « Ah ! voilà ma fille qui prend l’air. Elle ne me voit pas. Elle soupire. Elle lève les yeux au ciel. Dieu vous garde. Bonjour, ma mie. Eh bien, qu’est-ce ? Comme vous en va ? Eh quoi, toujours triste et mélancolique comme cela, et tu ne veux pas me dire ce que tu as ? Allons donc, découvre-moi donc ton petit cœur ». Raynaud cite dans Le Mentor Littéraire, dédié à la jeunesse (1827) l’emploi de « comme » pour « comment «  à son article « licences poétiques ».

ligne 7 ; variante : Tao je le dénomme/prénomme.

ligne 10 ; variante : Et l’extension éloignement.

ligne 16 ; variante : Qui imite un tao qui n’a qu’un seul modèle.

*

XXVI

Le pesant

Est la racine du léger

La quiétude

Est la maîtresse du remuant

*

Ainsi va tout le jour

Le prince sans quitter

Son char pesant

*

Face aux plus beaux spectacles

Il sait demeurer calme

Et détaché

*

Un seul instant le maître

D’un dix milliers de chars

Pourrait-il se permettre

De négliger l’empire ?

*

Qui est léger

Perd la racine

De son autorité

*

Qui est remuant

Perd la maîtrise

De tout son être même

*

Notes :

ligne 2 : « Pesant » peut sembler contradictoire avec l’idée qui faut savoir s’adapter, faire corps avec les choses et les êtres, se fondre dans la société des hommes (idée que l’on retrouve en d’autres endroits de Lao-Tseu du discours, supposé discours de Lao-Tseu). Le pesant est en fait le fixe, le pérenne, le durable, le non-mouvant, l’immuable, le stable, l’éternel. Et la légèreté n’est pas en rapport avec ce qui est fuyant et insaisissable (cf. pièce XXI), avec ce qui plie, se courbe et se creuse, autrement dit sait s’adapter à la réalité tangible (cf. pièce XXII), ou avec la marche toute légère et invisible du maître efficient (sans trace ni ornière de la pièce suivante). Elle est seulement la légèreté vaine du fétu de paille emporté, perdu par un simple coup de vent ; le manque d’emprise au sol, d’enracinement dans la terre et dans la tradition du tao. Ou encore le désordre, la superficialité de l’esprit dit léger et finalement futile et sans aucun effet bénéfique sur les hommes en société.

ligne 7 ; variante : Son pesant char.

ligne 15 et 18 ; variantes : Qui est/a tête légère / … / Qui est/a tête remuante.

ligne 20 ; variante : De son être lui-même.

*

XXVII

*

Marcher correctement

C’est marcher sans laisser

Ni trace ni ornière

*

Parler correctement

C’est parler sans erreur

Ni provoquer reproches

*

Compter correctement

C’est compter sans baguettes

Calculer sans tablettes

*

Fermer correctement

C’est sans verrou ni barre

Que nul ne puisse ouvrir

*

Lier correctement

Sans corde ni ficelle

Qu’aucun ne s’en délie

*

Le sage est toujours prêt à aider tous les hommes

Sans en n’omettre aucun

Le sage est toujours prêt à bien user des choses

N’en rejetant aucune

*

C’est ici posséder la lumière

*

Le sage homme de bien

Du peuple de non-bien

Reste le maître

*

Le peuple de non-bien

Du sage homme de bien

Reste l’argile

*

Quiconque ne révère

Ni maître ni matière

De toute intelligence

En grande part se perd

*

Tel est secret de la sagesse

*

Notes :

lignes 8 et 9 : Baguettes et tablettes évoquent l’un des temps originels du calcul, lorsque les hommes calculaient en s’aidant des parties du corps (doigts, membres…), ou en traçant sur le sol des signes sur des surfaces meubles (sable, poussière, terre…), ou en manipulant des objets divers (cailloux, « calculus » en latin, jetons, baguettes…). Vers -400 sont apparues les premiers abaques (du grec « abax », sable), tablettes à calcul constituées d’une table recouverte de sable sur laquelle on dessinait à l’aide d’un stylet et que l’on pouvait donc facilement effacer ; ils sont apparus indépendamment dans diverses aires du monde (Égypte, Étrurie, Grèce, Chine, Inde, Mexique). Puis, vers -300 sont apparus les premiers bouliers en divers lieux également.

ligne 12 ; variante : Qu’aucun ne puisse ouvrir.

ligne 15 ; variante : Qu’aucun ne se délie.

ligne 17 ; variante : Sans en n’ôter aucun.

lignes 21 et 25 ; variante : le saint homme de bien ; j’évite à dessein (à l’inverse de l’auteur de l’ouvrage qui ne sert de référence) d’employer le mot « saint » qui pour moi a une connotation trop forte, je préfère « sage » ; certes le taoïsme, ou un certain taoïsme religieux tardif (à compter du deuxième siècle de notre ère) a déifié Lao-Tseu. À cette époque il a été assimilé au Tao originel et l’on en a fait un immortel qui devait, dans un esprit messianique, réapparaître sur Terre. Ainsi en fut-il de la dite secte des Cinq Boisseaux dont il devint l’un des quatre grands dieux. À la même époque (deuxième siècle), celle de l’introduction du bouddhisme en Chine, l’hagiographie taoïste décréta que Lao-Tseu avait connu une triple naissance : en tant que Lao-Tseu historique, en tant que divinité et enfin en tant que Bouddha. Lao-Tseu fait homme, fait dieu et bouddha (l’éveillé qui par sa sagesse a atteint le Nirvâna). Sorte de Sainte Trinité qui ressemble quelque peu à la Trinité chrétienne (père, fils et esprit saint). Depuis, il est devenu l’un des Trois Purs de la Triade des divinités principales du taoïsme religieux contemporain. Il est ainsi le Vénérable céleste de la Voie (Tao) et de la Vertu, ou le Pur du Sommet Suprême, assimilé à l’Esprit, l’élément matériel de l’Elixir d’Immortalité, l’Essence Vitale de l’Univers. Il participe au principe d’ordre et d’anti-chaos qui fait l’unité de l’Univers. .

Lignes 22 et 24 ; le non-bien n’est pas le mal, mais l’un des degrés du taoïsme ; le peuple, le « vulgus » ne peut dépasser ce stade. « L’homme de bien signifie ici le saint taoïste qui modèle les consciences selon le Tao générateur ; l’homme de non-bien désigne ici, non le méchant, mais le peuple susceptible d’être sauvé par le saint taoïste. Si grande que soit son intelligence, celui qui ne révère pas le maître et n’aime pas le peuple ne peut plus être sauvé par le Tao générateur. » (Liou Kia-Hway).

­– ligne 24 variante : Demeure argile.

lignes 24 à 26 : « Le peuple de non-bien » qui « reste l’argile » «  du sage homme de bien » : ceci me fait penser très directement aux légende antiques sur les créations à partir de l’argile, de l’écume ou du sperme divin ; en particulier aux mythes des créations égyptiens et plus encore sumériens (cf. leurs succédanés archéotestamentaires).

ligne 27 ; variante : Quiconque ne vénère ; il semble y avoir une nuance entre ces deux mots ressemblants « révérer » et « vénérer » ; on révère plutôt les hommes et les vivants ; révérer : « Honorer avec un sentiment de crainte respectueuse. Révérend père, révérende mère » (le Littré) ; on vénère plutôt les dieux, les saints, les morts, les idoles et les choses ; vénérer : « Avoir de la vénération pour […] Particulièrement : porter honneur, en parlant de ce qui est objet de religion. Vénérer les saints, les reliques. » (idem) ; Vénération : « Grand respect joint à une sorte d’affection. Particulièrement, respect qu’on a pour les choses saintes. Exposer des reliques à la vénération des fidèles. Les païens avaient de la vénération pour des bois, des fontaines (Descartes, Les Passions de l’âme, 1649). « Vénérer » semble être au-dessus, au-delà de « révérer » ; mais ces deux mots ont des sens très proches ou mêlés, ainsi dit-on « le révérend » mais aussi «  le vénérable » et si les révérences et les courbettes peuvent ou pouvaient être destinées aux hommes, elles sont aussi destinés aux lieux et objets sacrés ; mais il n’y a pas de correspondant à « révérence » formé sur le mot « vénérer » ; enfin, on peut accorder de la vénération tant à des objets qu’à des vivants ; mais, de même, il n’y a pas de correspondant à « vénération » formé sur le mot « révérer ».

lignes 29 ; variante : Même en tout intellect. Du latin « intellectus », de « intellectum », supin (nom verbal) de « intelligere », comprendre. Sans notion particulière d’intellectualité ou d’intelligence réflexive, constructive, créative particulière ou supérieure.  « L’esprit en tant qu’il conçoit ; la faculté par laquelle l’âme humaine conçoit. » Le Littré qui cite également Brunetto Latini, auteur du treizième siècle (in Li Livres dou tresor, édition Chabaille, 1863) : Intellect est cele chose par cui l’on entent les commencemens des choses et forme la fin et le compliement. » ; Ambroise Paré (in Oeuvres, édition Malgaigne, 1840) : « l’ame est un esprit orné de raison et d’intellect » ; ou encore Denis Diderot (in Opinions des anciens philosophes ; les péripatéticiens) : « L’intellect est la troisième faculté de l’âme, elle est propre à l’homme, c’est la portion de lui qui connaît et qui juge. » Mais comme disait en substance Coluche, je l’ai déjà écrit : l’intelligence est la chose du monde la mieux partagée ; eh, oui ! car on pense toujours en être suffisamment fourni, puisque c’est justement avec notre propre intelligence que l’on juge. Cf. également l’Encyclopédie Diderot, d’Alembert et de Jaucourt* : « Intellect, s. m. (Gramm. & Philosoph.) c’est l’ame en tant qu’elle conçoit ; de même que la volonté est l’ame, en tant qu’elle a le desir ou l’aversion. Si une substance est capable de sensation, elle entendra, elle aura des idées. L’expérience lui apprendra ensuite à lier ces idées, à raisonner, à aimer, à haïr, à vouloir. L’intellect est commun à l’homme & à la bête ; la volonté aussi. L’intellect de la bête est borné, celui de l’homme ne l’est pas. La bête ne veut pas librement ; l’homme veut librement. L’homme est plus raisonnable ; l’animal est plus sensible. Lorsque l’homme ne sent pas, il peut refléchir ; lorsque la bête ne sent pas, elle ne peut refléchir, elle dort. »

À voir : à mon humble avis, l’homme est plus malfaisant, pervers et fatalement inhumain en réfléchissant que l’animal ne l’est sans réflexion (apparente) ni le support du langage articulé et par unique instinct de survie, parfois de jeu. L’homme, l’homme dit civilisé en particulier (paradoxe apparent), généralement soumis et amorphe, et qui a perdu tout instinct de survie, est l’animal le plus malveillant, irréfléchi et destructeur qui soit sur Terre. Les savants eux-mêmes ne sont pas exempts  de ces travers ; ils sont bien souvent les premiers à être emprunts de cet orgueil démesuré de vouloir jouer, les pitres, aux Docteurs Jekyll, Moreau, Mabuse ou autre Folamour. De jouer au démiurge du Mal. Au mauvais sorcier ou barbare techniquement, de plus en plus techniquement équipé. Telle est la borne indépassable de cette liberté et intelligence humaines. Son aspect noir. La part la plus belle de l’Homme majuscule se tient quant à elle, mais trop rarement, tout à l’opposé de la raison et de la réflexion, du scientisme et de technicisme, dans la Poésie des sensations, des émotions, des sentiments et des fatalement actes qui élèvent. De la noble culture humaniste. L’intelligence réflexive mais jamais bonne en soi, mais peut le devenir, ou pas, uniquement dans ses réalisations concrètes. La liberté de l’homme peut l’entraîner à sa propre perte, décadence, déchéance : c’est de nos jours devenu une évidence. Il est des réalisations et autres utopies humaines mises en pratique, y compris bien évidemment les plus « modernistes », « progressistes » ou « révolutionnaires » qui soient, qui ressemblent fort, non pas même à de gentils rêves anodins, mais plus exactement à de sordides cauchemars éveillés, fruits toxiques d’aliénations et autres réifications mentales collectives.

* Louis de Jaucourt surnommé « l’esclave de l’Encyclopédie » fut (lui et son équipe et sa fortune qui y est passée) la principale et sans doute essentielle cheville ouvrière de l’Encyclopédie, sans qui le projet n’aurait probablement jamais été mené à bien et à terme. Des milliers d’articles écrits ou dictés par Jaucourt on cite généralement et justement les articles « esclavage » et « traite des nègres » dont il demandait l’abolition bien avant la Révolution et alors même que les finances de Voltaire y collaborait, ou les articles « guerre », « Inquisition », « patrie », « peuple », « presse »… C’était un humaniste d’une famille protestante reconvertie au catholicisme, et inspiré par Montesquieu. Ce fut un compilateur et glossateur frénétiques totalement oublié, dont on ne parle jamais assez lorsqu’il est question de l’Encyclopédie.

lignes 29 et 30 ; variante : En toute intelligence / De grande part se perd.

From → divers

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