Lao Tseu
Tao Tö King
(Le Livre de la Voie et de la Vertu)
Je livrerai ici, après tant d’autres, mon adaptation du Tao Tö King (Le Livre de la Voie et de la Vertu) attribué à Lao Tseu. Je suivrai la traduction de Liou Kia-Hway (Gallimard, 1967) que j’ai simplement essayé de poétiser et de musicaliser (quelques approches anciennes du chinois me font renoncer à toute velléité de traduction directe que ce soit).
Le chinois, langue concise et elliptique s’il en est, pour ne pas dire parfois sibylline surtout en poésie, ne connait pas même les majuscules et la ponctuation. Notre texte ignorera lui aussi la ponctuation et les majuscules sauf à l’initiale de chaque vers.
On ne sait même pas si Lao Tseu a vraiment existé, il aurait été le contemporain mais l’aîné de Confucius.
De tradition orale puis écrite le Tao Tö King en lui-même est très probablement une œuvre collective, ou tout au moins une compilation de sentences plus ou moins remaniée au fil des siècles ; on le sent à la lecture, à certaines redites ou changements de ton, voire à certaines contradictions ou dissonances. Le découpage de cet ouvrage a dû être établi arbitrairement afin qu’il comporte un nombre symbolique de pièces : 81, soit 9 fois 9.
C’est une sorte de manuel de gouvernance de soi-même et des hommes destiné aux sages. Avec une perception spécifique de la nature, de la place ou plus exactement du lien du sage au monde des hommes courants et à l’univers. Manuel moral, philosophique, politique et … poétique.
Je vais donc donner au fur et à mesure (redondance) l’ouvrage en neuvaines. Aujourd’hui, s’en sera la première.
*
I
Tao saisi n’est pas tao
Son nom donné n’est pas bon nom
Début sans nom de l’univers
Avec un nom de tous la mère
Prends son secret dans son non-être
Et de son être aborde l’huis
Être et non-être ont un seul fond
Et c’est leur nom qui seul diffère
Ce fond unique est appelé la nuit
Alors noircit la nuit à l’huis qui t’émerveille
II
Tout un chacun tient beau pour beau
C’est sa laideur
Tout un chacun tient bien pour bien
C’est son malheur
Car l’être et le néant s’engendrent
Ainsi qu’aisé et malaisé
Le long le court le haut le bas
Le bruit la voix l’avant l’après
Bien pourquoi non-agit le sage
Par son enseignement muet
N’étant l’auteur d’aucune chose
Et c’est sans rien ôter qu’il crée
Sans rien attendre qu’il agit
Tâche accomplie il s’en détache
Ainsi son œuvre restera
III
À glorifier les gens de mérite
Le peuple s’en irrite
À louanger de précieux trésors
Il se fera voleur
À exhiber ce qui fait envie
Son âme à la pépie
Le sage gouvernant
Vide l’esprit du peuple
Pour lui emplir le ventre
Baisse ses ambitions
Pour fortifier ses os
Le sage n’attend
Ni savoir ni désir parmi le peuple
Ni volonté d’agir chez les lettrés
Pratiquez le non-agir
Et tout restera en ordre
IV
Le tao tel un vase
Jamais plein à l’usage
Est pareil à un gouffre
D’où viennent toutes choses
Émoussant tout tranchant
Dénouant l’écheveau
Fusionnant les lumières
Unifiant les poussières
Il semble très profond
Paraît durer toujours
Fils d’un je ne sais quoi *
Il est sans doute aïeul des dieux
À l’univers point d’affections humaines
Tout est pour lui en chien de paille
Au sage aussi point d’affections humaines
Peuple est pour lui en chien de paille
L’univers est pareil au soufflet de la forge
Qui vide n’est pas aplati
Plus on l’agite et plus il se gonfle
Plus on en parle et moins on le cerne
Il vaut mieux s’insinuer en lui
Glose deux : le chien de paille fait référence à un rite religieux ancestral. D’après le Tchouang-tseu (cf. chapitre XIV), avant l’offrande au mort, tandis que se purifient les officiants, enveloppés de broderies de couleurs les chiens de paille sont enfermés dans des corbeilles et des paniers. Offrande échue, les pieds des vivants écrasent les têtes et les corps des chiens de paille. Alors, les ramasseurs d’herbe et autres glaneurs s’approchent et s’approprient ces chiens pour a llumer leur feu. Et s’en est fini d’eux. Ainsi, tout est accompli.
VI
L’esprit du val ne meurt jamais
En lui est la femelle obscure
En l’huis de la femelle obscure
Se tient la racine du monde
Subtil et sans relâche
Il paraît perdurer
Sans épuiser sa tâche.
Glose trois : « Parce qu’il est vide, on l’appelle « vallée » ; parce qu’il s’adapte à une infinité de cas, on l’appelle « esprit » ; parce qu’il ne s’épuise jamais, on l’appelle « ne meurt pas ». « Vacuité », « imprévisibilité » et « immortalité », voilà trois vertus du Tao. » (Yen Fou cité par Tchou K’ien-tche in Lao-tseu Kiao-che)
VII
Pérenne est le ciel pérenne est la terre
Pourquoi terre et ciel sont-ils donc pérennes ?
Ils ne vivent pas non plus pour eux-mêmes *
Voilà qui les fait ainsi perdurer
Le sage en retrait est mis en avant
Négligeant son moi son moi se conserve
Désintéressé tout est préservé
* ou : « Ils ne vivent pas par et pour eux-mêmes »
VIII
Bonté suprême est comme l’eau
Bénéfique à tout sans rival *
Du dédain de l’homme où elle est
Elle est tout proche du tao
Son poste est favorable
Et son cœur est profond
Son don est généreux
Et sa gouverne ordre parfait
Elle accomplit sa tâche
Elle agit à propos
Comme elle est sans rivale
Elle est irréprochable
* ou : « Bénéfique à tous sans rival » – variante : « Bonne à tout sans rival aucun »
Glose quatre : « Du dédain de l’homme où elle est » ; c’est l’homme qui a du dédain pour la bonté et non pas la bonté qui dédaigne l’homme.
IX
Mieux vaut renoncer que tenir
Un bol empli d’eau à ras bord
Sans cesse à l’aiguiser l’épée
Ne garde pas longtemps tranchant
Tout lieu rempli d’or et de jade
Ne maintient pas longtemps son garde
Gonflement de richesse et gonflement d’honneur
Attire le malheur
Œuvre accompli retire-toi
Du ciel telle est la loi
Glose cinq : « œuvre accompli », il s’agit du grand œuvre.
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