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LA RÉ-ÉDUCATION D’ERNEST GILLES À L’ABC DÉMOCRATIQUE DU BIEN CONTRE LE MAL

28 juillet 2025

Article d’Olivier Mathieu, du 27/07/2025

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Un document absolument historique.

Article paru dans le magazine YANK, juillet 1945, magazine officiel des GI et de l’armée américaine pendant la seconde guerre mondiale. Article signé par l’un de ses meilleurs journalistes.

Voici quelques-unes des plus belles couvertures du magazine Yank, journal officiel de l’armée américaine, « écrit par des GI pour des GI », et représentant par conséquent, sur ses couvertures ainsi que dans les pages du magazine, la vie, les attitudes, l’esprit, le sens esthétique et la vision du monde des GI.

Une couverture du magazine Yank, magazine officiel de l’armée américaine, écrit par des GI pour les GI
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Voici un article paru dans Yank.

Je cite, mot à mot, intégralement, ce passionnant article. Avant de le traduire. Et de le commenter (ou de commencer à le commenter). L’auteur, Debs Myers, ici indiqué comme Pfc. (Private First Class), était un important journaliste américain (décédé en 1971). Et son article est paru dans le magazine Yank, le magazine officiel de l’armée américaine (ici, en juillet 1945, donc deux mois après la chute du Troisième Reich et quelques jours avant Hiroshima et Nagazaki).
Premier paragraphe.

Traduction de ce premier paragraphe. L’enseignement du Bien et du Mal.

Ceux des abonnés de ce blog, qui connaissent mieux l’anglais que moi, peuvent me corriger en cas d’erreur:

« AIX-LA-CHAPELLE ALLEMAGNE – La rééducation de l’Allemagne a commencé à Aix-la-Chapelle. Des garçons et des filles, qui n’ont connu d’autre dirigeant qu’Hitler, pas de loi sauf la loi nazie, sortent des caves et des rues détruites pour entendre l’étrange nouvel enseignement que les Allemands ne sont pas nés pour gouverner le monde.
Cette ville historique à la frontière belge est la première dans laquelle l’autorisation des Alliés a été donnée de rouvrir les écoles. Par cette décision Aix-la-Chapelle devient un laboratoire qui aidera à façonner la nouvelle Allemagne issue des ruines héritées de Hitler. La guerre des bombes et des balles qui faisaient rage si violemment sur la première ville allemande capturée par les Américains a cédé la place à une nouvelle guerre des idées.
L’effort pour dénazifier les jeunes Allemands est une expérience que le monde entier observera. Les principes qui feront leurs preuves à Aix-la-Chapelle seront appliqués à d’autres régions d’Allemagne.
Des enfants qui ont été gavés à la cuillère, par la propagande en chemise brune, de la supériorité allemande, vont apprendre pour la première fois qu’ils ont de la chance, dans ces circonstances, d’avoir une part quelconque dans le monde, sans le diriger.
On va leur enseigner, de la manière la plus simple, les concepts démocratiques du bien et du mal». 

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Mon commentaire du premier paragraphe.
Le terme de ré-éducation, qui sert aussi de titre général à cet article, est absolument fondamental. L’auteur expose donc que des enfants de moins de 12 ans n’avaient encore jamais connu d’autre dirigeant, dans leur pays, qu’Adolf Hitler. Ce qui est d’ailleurs non seulement exact mais aussi plus que logique, puisqu’Adolf Hitler aura conservé le pouvoir pendant douze ans, dit-on souvent. En vérité, moins.
Ainsi, tout pareillement, les enfants américains de 12 ans, eux aussi, en 1945, n’avaient connu d’autre président que Roosevelt (qui est resté au pouvoir 12 ans, 1 mois et 8 jours). Roosevelt a été au pouvoir davantage que Hitler (10 ans, 8 mois et 28 jours).
L’auteur explique – dans le magazine officiel de l’armée américaine – que la première ville allemande capturée par les Américains sous « la guerre des bombes » (les bombes anglo-américaines) devenait le laboratoire d’une nouvelle pédagogie destinée à enseigner à ces enfants (s’ils ne les avaient pas déjà compris, sortant de « caves et de rues détruites ») les « concepts démocratiques du bien et du mal ».
Je comprends d’autant mieux, pour ma part, cette image de « caves et de rues détruites » que ma propre mère, à cette époque, se rendit un jour dans la cave de la maison paternelle et, en en sortant, trouva ladite maison rasée au sol.
Mais passons au deuxième paragraphe.

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Deuxième paragraphe.

Traduction du deuxième paragraphe.

« Aujourd’hui, les gens entendent pour la première fois les véritables raisons de la misère qui s’est emparée de l’Allemagne. Les enfants écoutent en silence. Il n’y a aucun moyen de savoir dans quelle mesure ils croient à cette nouvelle doctrine surprenante. Ces garçons et ces filles, portant de nouveaux livres, choisissent de se frayer un chemin à travers les décombres, jusqu’à leurs écoles, après avoir vu en quelques mois leurs maisons, leurs villes et leur gouvernement tomber en ruines. Ils ont vu passer la population d’Aix-la-Chapelle de 165 000 à 19 000 habitants. Ils semblent accepter que tout est éphémère. C’est ici, dans l’ancienne Aix-la-Chapelle, là où se trouvent les ossements de l’empereur Charlemagne, mort il y a plus plus de 1 000 ans, que Hitler est venu en 1932, avec des promesses fanfaronnes au sujet d’un nouvel empire allemand.
Hitler a dit: « Donnez-moi cinq ans et vous ne reconnaîtrez pas l’Allemagne ».

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Commentaire du deuxième paragraphe. Entre Colloque Lippmann et MK-Ultra.
Fort intéressante, dans ce deuxième paragraphe, la mention du fait que les enfants écoutent en silence (en général, supposé-je, les enfants dans les écoles écoutent ce qu’on leur dit en gardant le silence). Je ne suis jamais allé à l’école mais je suppose qu’aller à l’école en traversant une ville en ruines, notamment quand on a moins de douze ans, une ville passée en quelques années de 165 000 à 19 000 habitants (une statistique que note au passage l’auteur américain de cet article), pour entendre des enseignants triés sur le volet leur dire les « véritables raisons » de leur misère, n’est pas facile.
En tout cas, l’auteur de l’article ne devait pas manquer de croire posséder une certaine culture, puisqu’il prétendait catégoriquement (dans cet article de juillet 1945) que les « ossements » de Charlemagne se trouvaient à Aix-la-Chapelle.  La chose n’est certainement pas aussi simple que ce qu’affirmait Yank. Notamment, il est aujourd’hui prouvé que la théorie selon laquelle Charlemagne serait enterré dans l’atrium de la cathédrale d’Aix-la-Chapelle est une théorie fausse. Personne ne sait plus où se trouvent les restes de Charlemagne. Ou encore, ils se trouvaient dans les 85% de la ville d’Aix-la-Chapelle qui ont été détruits par les bombardiers américains. Yank, qui disait savoir les « véritables raisons » de la misère des enfants allemands de 1945, se trompait en tout cas au sujet de Charlemagne. Il est sans doute vaguement cocasse que les Américains, tout en se chargeant de l’éducation des enfants allemands d’Aix, ne sussent rien (ou fort peu) de Charlemagne.
A noter, aussi, la phrase : « Il n’y a aucun moyen de savoir dans quelle mesure ils croient à cette nouvelle doctrine surprenante ». Voilà les limites d’une telle ré-éducation de masse, observée par le monde entier, et dont les principes seraient ensuite – selon l’auteur de l’article – appliqués à toute l’Allemagne. Comment diable, en effet – cruel dilemme – savoir si ces enfants de moins de douze ans croyaient ce qu’ils entendaient?
Si « MK-Ultra » fut un projet (alors secret) de la CIA visant à développer des techniques de programmation de l’esprit, approuvé le 13 avril 1953 par Allen Dulles,  directeur de l’agence, chacun sait que les États-Unis travaillaient sur les techniques de manipulation mentale depuis le début du vingtième siècle, et il suffit de renvoyer au Colloque Lippmann de Paris (1938) et aux Conférences Macy (dès 1942 au moins, à New York).
Qui sait s’il y avait un lien, direct ou indirect, et lequel, entre les expériences américaines de manipulation mentale, et ce passionnant projet de ré-éducation des enfants de moins de douze ans dans les écoles d’Aix-la-Chapelle puis de toute l’Allemagne (en tout cas, de la partie de l’Allemagne occupée par les Américains)?

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Troisième paragraphe. 90 millions de « nazis », un fantasme.

Traduction du troisième paragraphe.

« Maintenant les gens considèrent avec tristesse les ruines de leur ville, qui est détruite à 85 %, et regardent avec respect les canons alliés. Et ils disent que jamais ils n’ont jamais été nazis, et qu’ils ne croyaient pas vraiment en Hitler. Et les enfants ? Eh bien, disent les gens d’Aix-la-Chapelle, leurs propres enfants étaient des enfants bien, mais les enfants du voisin étaient susceptibles d’être un problème. Vous savez comment c’est, expliquent-ils, une mauvaise idée est susceptible de s’enraciner profondément chez l’enfant, c’est-à-dire chez l’enfant d’un voisin, quand il y avait une influence dans sa maison. C’est une chose remarquable à Aix-la-Chapelle et en Allemagne. Les nazis vivent toujours dans la maison d’à côté, ou dans la ville voisine. À la fin de la guerre, 90 000 000 nazis avaient changé de rue. Les enfants allemands sourient et, parfois, ils font le V de la victoire lorsqu’ils demandent « Chocolat, Oncle». Les nazis ? Oh, oui, ils se souviennent d’avoir entendu parler des nazis, mais ils ne se souviennent pas d’en avoir connu un seul. Pourtant, les garçons plus âgés ont été imprégnés pendant des années de rituels nazis. On leur a enseigné que les Allemands étaient supérieurs à tous les autres peuples ; que la guerre était bonne et glorieuse ; que devenir un SS était la plus grande ambition d’un garçon. Ils y ont cru; ils ont rugi leur amour du Führer en chantant des chants de marche nazis rauques ; ils ont craché sur les démocraties et sur Franklin Roosevelt. Ils étaient fiers d’inciter les gens ».

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Commentaire.
Ma foi, je crois probable que tout civil, au spectacle de sa ville détruite à 85% (une autre statistique, un autre aveu que donnait ici, apparemment sans grandes préoccupations humanitaires, l’auteur de cet article paru dans un magazine officiel de l’armée américaine), ressente de la tristesse.
Pour le reste, la logique du journaliste auteur de ces lignes m’échappe quelque peu, parfois. Il commence en effet par dire que les Allemands désignaient comme « nazis » leurs propres voisins. Trois lignes plus loin, il dit qu’ils n’en « connaissaient pas un seul ». S’ils n’en connaissaient pas un seul, comment faisaient-ils pour désigner leurs voisins comme « nazis »?
Autre donnée statistique, il y aurait eu (toujours selon l’auteur du magazine Yank) 90 millions de « nazis » en 1945. Chose totalement douteuse, si l’on veut bien songer qu’en 1933 il y avait 65 millions d’Allemands (selon le recensement alors effectué).
A moins que l’auteur de Yank n’ait considéré aussi comme « nazis » les fameux quatorze millions de civils allemands vivant en dehors des frontières de l’Allemagne, déportés par Staline (de 1945 à 1947) vers l’ancien Reich? A lire à ce sujet: Les Expulsés, de R. M. Douglas, Flammarion, 510 pages.
A l’évidence, il n’y avait pas 90 millions de « nazis » en Allemagne en 1945, à moins de considérer aussi comme tels les innombrables Allemands qui n’avaient jamais été membres du NSDAP, et jusqu’aux enfants de zéro à douze ans d’Aix-la-Chapelle (et du reste du pays).
90 millions de « nazis » était un fantasme bien connu des Américains de l’époque, en général, ou de ce journaliste de Yank en particulier. Sans doute cette grande « plume » de Yank avait-elle subi une éducation en ce sens. Aurait-elle eu besoin de quelque profitable ré-éducation?

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Quatrième paragraphe. Des « citoyens décents »?

Traduction (quatrième paragraphe). 

« Si le temps et la formation peuvent un jour faire des citoyens décents de ces garçons allemands entre 12 et 16 ans, c’est là une supposition, et les autorités du gouvernement militaire ne sont pas trop optimistes. Maintenant, comme leurs parents, ces enfants regardent les Alliés et disent – pour la plupart d’entre eux – que les Alliés sont forts et que les Alliés sont bons. Quand ils le disent, ils ressemblent à quelqu’un qui réciterait un poème sans le comprendre. La seule chose qu’ils comprennent avec certitude, ce sont les armes des Alliés. La rééducation de l’Allemagne a commencé avec les bombes alliées et les canons alliés.
Il n’y a presque pas eu de vandalisme de la part de jeunes Allemands à Aix-la-Chapelle depuis la chute de la ville le 20 octobre 1944. Quand un jeune Allemand lance une pierre sur un soldat allié, ou trace un slogan sur un mur, le gouvernement militaire sévit durement. Les jeunes Allemands l’ont compris rapidement, les Alliés ne plaisantent pas. Avec les plus jeunes enfants allemands, de 11 ans et plus jeunes encore, les perspectives sont plus optimistes. Les nazis avaient trop de choses à faire, pendant ces deux dernières années, pour s’inquiéter beaucoup de l’endoctrinement. Et donc, il y a des indications qu’il sera possible de remodeler la pensée des enfants, à ces âges. Jusqu’à présent, les écoles d’Aix-la-Chapelle ont été rouvertes à seulement 750 enfants âgés de 6 à 10 ans, concernant les quatre premiers niveaux scolaires ».

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Commentaire du quatrième paragraphe.
Certes, il y a beaucoup à commenter, ici. On apprend, sous la plume du journaliste de Yank, que les autorités militaires américaines, qui se chargeaient donc de l’éducation (pardon, de la ré-éducation: c’est le titre général de l’article) des enfants allemands, « n’étaient pas optimistes ».
Ici, le programme américain de ré-éducation était à ses débuts (l’article est de juillet 1945) mais, d’emblée, les autorités militaires « n’étaient pas optimistes » quant à la possibilité de faire, de ces enfants, des citoyens « décents ».
Or, quel est le programme pédagogique que l’on peut juger avant seulement qu’il ait vraiment commencé?… Comment peut-on dire que des enfants ne comprennent rien d’autre que les « armes alliées »? Ce programme éducatif (pardon, ré-éducatif), qui avait pour mission (comme l’auteur s’en flattait au début de son article) d’enseigner les concepts du « Bien » et du « Mal » – ce n’est point là, à l’évidence, un mince enseignement – avait lieu sous la menace, implicite ou explicite, des « armes alliées »?
Citons: « La seule chose qu’ils comprennent avec certitude, ce sont les armes des Alliés. La rééducation de l’Allemagne a commencé avec les bombes alliées et les canons alliés »… Enseigne-t-on donc le « Bien » sous la menace des armes?… Par ailleurs, que signifie au juste « sévir durement » contre un enfant si jeune (tiens, les Palestiniens n’ont rien inventé!) qui lance une pierre ou écrit un slogan sur un mur?
Ou encore, comment concevoir ou décrire qu’il ait fallu « remodeler la pensée » (sic) d’enfants de moins de douze ans dont l’auteur de Yank en personne reconnaissait que, depuis deux ans, « les nazis avaient eu trop de choses à faire » pour pouvoir s’en occuper? Sous prétexte de lutter contre un « endoctrinement » (endoctrinement qui, de l’aveu de Yank, n’avait pas eu lieu pendant les deux années précédentes), faut-il répondre par un « remodelage de la pensée »?

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Cinquième paragraphe. Ernest Gilles.

Traduction (cinquième paragraphe)

« Quatre classes seront ouvertes plus tard, on ne sait pas quand. Cela dépend, entre autres choses, de l’efficacité de la dénazification des jeunes étudiants.
L’équipe pédagogique est composée de deux hommes et de 24 femmes. Tous ont été soigneusement sélectionnés par des fonctionnaires de l’Intelligence. Leurs travaux seront encadrés et vérifiés. Aucun de ces enseignants, selon les enquêteurs, n’était lié au parti nazi. Parmi les élèves qui retournent sur les bancs de l’école, Ernest Gilles a été choisi par ses professeurs comme typique quant à sa formation et son environnement. Il a 10 ans. Il vit avec sa mère dans une maison qui a été bombardée, mais partiellement réparée. Ernest n’avait ni frères ni sœurs. Son père, un simple soldat de l’armée allemande en Italie, n’a pas donné de ses nouvelles depuis huit mois. Au cours des attaques aériennes alliées les plus intenses, et pendant les combats, Ernest vivait avec 33 autres personnes dans une cave. Il ne se souvient pas d’une époque de sa vie où il n’y ait pas eu de guerre. Ernest, mince et grand pour son âge, a été interrogé par l’intermédiaire d’un interprète. Comme ses camarades de classe, il ne se souvient pas avoir connu de nazis. »

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Commentaire
A la lecture de l’article de Yank (Yank qui était, rappelons-le inlassablement, le magazine officiel de l’armée américaine), on apprend donc que les enseignants de l’Allemagne d’après la seconde guerre mondiale étaient embauchés et surveillés par des fonctionnaires de l’Intelligence (l’Intelligence américaine; Intelligence comme CIA: j’ai dit plus haut deux mots du projet de la Central Intelligence Agency (CIA) visant à développer, justement, les techniques de contrôle et de la programmation de l’esprit).
Le plus étonnant, le plus absolument sidérant est sans doute une « interview » d’un enfant de dix ans, fils unique, orphelin de père, qui venait de passer plusieurs mois ou plusieurs années enfermé dans une cave, et habitait dans une maison « partiellement réparée » (sic), puis que l’on « interrogeait » avec l’aide d’un « interprète » et dont l’identité – Ernest Gilles – était rendue publique dans un magazine américain à grand, voire très grand tirage. Ernest Gilles était en quelque sorte le cobaye représentatif de l’expérience de la « ré-éducation » menée par une « équipe pédagogique »? Un enfant de dix ans?… Ne pourrait-on discuter quelque détail d’une telle déontologie (?) éducative?…

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Sixième paragraphe. L’incroyable interrogatoire d’Ernest Gilles.

Les questions et les réponses.
Question: Que veux-tu devenir quand tu seras grand ?
Réponse: Un peintre. Je veux peindre des rivières.
Q. Pourquoi ne veux-tu pas être soldat ?
R. Les soldats se font tirer dessus par d’autres soldats.
Q. Sais-tu ce qui est arrivé à Hitler ?
R. J’ai entendu dire qu’il s’est empoisonné. Selon beaucoup de personnes, il n’est plus vivant. Mais certains disent qu’il s’est caché.
Q. Admirais-tu Hitler ?
R. Je ne suis pas nazi.
Q. D’accord, mais admirais-tu et aimais-tu Hitler ?
R. Ma maison a disparu et mon père est mort.
Q. Sais-tu qui était Roosevelt ?
R. Roosevelt était le Führer américain, il est mort.
Q. Sais-tu qui a pris la place de Roosevelt ?

R. Personne n’a pris sa place, c’était le Führer.
Q. N’y a-t-il pas quelqu’un qui fait le travail de Roosevelt ?
R. Oui, le fort général Eisenhower.
Q. As-tu une idée de comment vivent les garçons américains?
R. Non.
Q. Connais-tu le nom de la capitale des États-Unis?
R. New York.
Q. Etais-tu heureux à la fin de la guerre ?
R. J’étais content de ne pas avoir à retourner à la cave.
Q. Savais-tu que les armées allemandes ont été vaincues – qu’elles se sont toutes rendues ?
R. Les Américains ont beaucoup d’armes et beaucoup de juifs.
Q. Veux-tu continuer à vivre à Aix-la-Chapelle ?
R. Les bombes ont laissé Aix-la-Chapelle sale.
Les gens disent qu’il y a des chocolats et des voitures à moteur à New York.
Q. Quelqu’un t’a-t-il parlé de la démocratie ?
R. Les enseignants en parlent.
Q. Ce que tu entends dire sur la démocratie t’intéresse-t-il ?
R. Ça n’a pas l’air aussi amusant que de chanter.
Quand Ernest dit au revoir, il fait claquer ses talons. »

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Commentaire de ce paragraphe.
Rien ne permet de dire qu’Ernest Gilles ait vraiment fait claquer ses talons, ou que ses réponses, telles que présentées par Yank, aient toutes correspondu à la réalité de ce qu’il a dit. Rien ne permet de dire que le journaliste ait toujours cité ses propos réels. Certaines des réponses d’Ernest sont fort étranges. Pourquoi répondre, par exemple, quand on lui demande s’il continuera à habiter à Aix-la-Chapelle: « Les gens disent qu’il y a des chocolats et des voitures à moteur à New York »?…
Ernest Gilles avait pourtant compris beaucoup de choses quand il disait, au sujet d’Adolf Hitler: « Mais certains disent qu’il s’est caché ». En effet, on sait aujourd’hui, en 2025, ce que le petit Ernest Gilles ne pouvait pas vraiment savoir en 1945, c’est-à-dire que les Américains et les Soviétiques se chargeraient, pendant plusieurs décennies, de mentir sciemment à la presse en engageant celle-ci à publier des délires complets sur Adolf Hitler réfugié en Amérique du sud ou ailleurs.
Mais surtout, il n’est pas besoin de dire que certaines des réponses d’Ernest Gilles – un enfant de dix ans – sont poignantes, par exemple quand il dit: « Ma maison a disparu et mon père est mort« . Ou encore: « J’étais content de ne pas avoir à retourner à la cave. »
Qui sait ce qu’est devenu le malheureux petit Ernest Gilles?
Ernest Gilles avait dix ans en 1945. Il pourrait avoir, aujourd’hui, 90 ans.
Oui, qui sait ce qu’est devenu le malheureux petit Ernest Gilles, orphelin de père, ayant passé une partie de son enfance dans une cave sous les bombes américaines, puis ayant fait partie du programme de ré-éducation idéologique mis en place à Aix-la-Chapelle et soumis à un interrogatoire par un journaliste du magazine officiel de l’armée américaine.
Qui sait aussi ce qu’aura pensé Ernest Gilles, quelques semaines plus tard, alors qu’il n’en était encore qu’au début de ce nouvel enseignement destiné à lui expliquer le « Bien » et le « Mal », qui sait ce qu’il aura pensé lors des bombardements atomiques américains sur le Japon?

Berlin en 1945

Cologne en 1945, avant le début du programme éducatif destiné à donner aux jeunes générations un ABC de principes démocratiques.

Et en France… L’église Saint-Vincent, ou plus exactement cette ancienne église catholique de style gothique, située à Rouen, a été presque entièrement détruite par un bombardement anglo-américain en mai 1944. Photo extraite de la presse de l’époque. Un objectif militaire stratégique?
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L’ABC démocratique.

Photo (illustrant cet article de Yank, magazine officiel de l’armée américaine, numéro de juillet 1945).
Il s’agit de la première rencontre entre l’enseignante et ses élèves, mais déjà en présence des photographes de presse.
« A german school teacher, carefully, selectioned by the AMG, conducts the firts lesson in an Aachen classroom, giving her pupils some democratic ABC. »
Une institutrice allemande, soigneusement sélectionnée par l’AMG, donne le premier cours dans une salle de classe à Aix-la-Chapelle, enseignant à ses élèves un ABC démocratique.

Pour qui l’ignore, AMG signifie Allied Military Government for occupied territories  (« gouvernement militaire allié (des territoires occupés) », d’où il ressort que l’enseignement du Bien et du Mal, à la base de l’ABC démocratique, était dispensé sous la supervision de l’Allied Military Government for occupied territories.
Combien de temps faudrait-il pour qu’Ernest Gilles, rééduqué, ait enfin l’esprit remodelé comme il faut?

Une couverture du magazine Yank, magazine officiel de l’armée américaine, écrit par des GI pour les GI et illustrant la vision du monde et le sens esthétique, inégalables, des GI.

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From → divers

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