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“De jeunes traînards, gibier de maison des jeunes”: en souvenir de “J’accuse la bourgeoisie” de Robert Poulet — Par Olivier Mathieu.

2 mars 2025

Certains génies ne sont pas formés, portés, soulevés par l’époque qui les produit. Ils s’opposent à l’époque et leur force est précisément dans leur inactualité”, écrivait André Gide en 1925. Quinze ans plus tard, en 1940, il précisait de nouveau dans son “Journal”: “C’est seulement dans ce qu’elle a d’inactuel que la pensée peut demeurer valable; dans ce que les circonstances, si adverses qu’elles soient, ne peuvent ni ne pourront modifier”. Voilà des propos qui mériteraient ample réflexion, notamment en 2025 et alors que l’actualité est une comédie de plus en plus folle, vide et insignifiante.

Ayant pour ma part toujours privilégié l’inactuel, c’est avec beaucoup de joie que j’ai reçu de l’un de mes lecteurs (j’en ai peu, par chance pour moi, très peu) une lettre où il évoque le livre de Robert Poulet, « J’accuse la bourgeoise », qui date – sauf erreur de ma part – de 1978.

Dans ce livre, selon ce que me rappelle mon correspondant (qui est un lettré, c’est-à-dire quelqu’un qui a énormément lu et qui, plus surprenant encore, a compris ce qu’il lisait), Robert Poulet mentionnait – en substance – « de jeunes traînards, gibier de maison des jeunes ».

Et là, cela devient intéressant. En effet, Robert Poulet habitait à l’époque à Marly-le-Roi, plus exactement à la résidence des Grandes Terres où, en 1957, comme je fus le premier à le révéler en 1990, Hergé lui avait acheté un appartement.

Robert Poulet était un ami de ma grand-mère depuis le début du vingtième siècle; ils avaient travaillé ensemble, dans les années 1950, dans une grande maison d’édition parisienne; et il connaissait évidemment aussi ma mère, puisque nous étions ses voisins à Marly-le-Roi pendant presque vingt ans, de 1969 à 1984.

C’est cocasse, mais édifiant: jamais les “fans” de Robert Poulet, ceux qui écrivent des livres ou leurs petits articles sur lui, souvent sans l’avoir jamais rencontré, n’ont songé une seule fois à m’interroger, alors que je l’ai connu depuis 1969.

Je ne crois pas avoir été directement mentionné dans “J’accuse la bourgeoisie”. Mais indirectement, certainement. Le lecteur lambda ignorait, voire ignore toujours que Robert Poulet habitait Marly.

Robert Poulet habitait à deux cents mètres de ce qui était alors la “maison des jeunes”, la MJC des Grandes Terres de Marly-le-Roi. Il passait devant, tous les jours. Jusqu’en 1974, en se promenant avec Paul Werrie (mort au début de 1974). Ou avec son épouse. “Maison des jeunes” que j’ai fréquentée, précisément, dans les années 1977-1979.

Entre 1969 et 1975, j’étais invité plusieurs après-midi par semaine chez Robert Poulet, dans son appartement, au premier étage de l’immeuble où il vivait, dans son salon. Ainsi côtoyais-je Robert Poulet, son épouse Germaine, Paul Werrie, son épouse (elle aussi prénommée Germaine), Hergé et beaucoup d’autres visiteurs de cette espèce. Depuis 1975, pour des raisons que j’ai racontées dans plusieurs de mes romans, mes relations s’étaient cependant nettement refroidies avec Robert Poulet. Il en reste sans doute aussi des traces dans sa correspondance, si celle-ci a été conservée, ainsi que dans les lettres que lui écrivait régulièrement ma grand-mère.

Bref, en 1977-1979, il ne fait absolument aucun doute que le “gibier de maison des jeunes” auquel faisait allusion Robert Poulet était inspiré par Olivier Mathieu puisque, fumant quelques pétards à l’occasion, je “traînais” – pour reprendre les termes de Poulet – devant la maison des jeunes où, accessoirement, je me faisais souvent casser la gueule parce que je défendais des idées inacceptables par l’époque moderne.

Robert Poulet donnait une image d’austérité mais sa plume n’en dispensait pas moins un humour personnel et corrosif Mes relations avec Poulet ne s’améliorèrent provisoirement que vers 1983, le poussant par exemple à me citer dans quelques articles (par exemple en 1986, dans la feuille “Présent”) qu’il consacra à mes travaux sur Abel Bonnard.

Plus tard, dans l’un de mes romans paru en 2010, j’ai consacré des dizaines de pages à mes relations avec Robert Poulet et notamment aux regards désolés et consternés qu’il me jetait – en 1978 – quand il passait à quelques mètres de moi, devant cette maison des jeunes qui, aujourd’hui, n’existe plus.

Je ne peux que remercier le lecteur qui m’a fait noter à quel point pourrait s’avérer passionnante, pour une critique littéraire libre, vraiment libre, et de qualité, une double lecture: d’une part celle de “J’accuse la bourgeoisie” (1978) de Robert Poulet, et de l’autre celle de mon roman “Voyage en Arromanches” (2010). Parce que les deux œuvres parlent, l’une comme l’autre, de la même MJC.

En 1978, je me trouvais insulté à la fois (dans la vie de tous les jours) par les conformistes de la “maison des jeunes” et (dans ses lettres à ma grand-mère, et dans ses livres) par un réac assumé comme Robert Poulet. Le vieux facho n’était pas en mesure de comprendre que je fume des pétards, les jeunots antifachos n’étaient pas en mesure de comprendre que je m’intéresse à Abel Bonnard. Et moi? Tout cela m’amusait. Cela m’amusait beaucoup et continue à m’amuser beaucoup, ce manichéisme délirant qui gouverne le monde moderne, et dans lequel le malade – l’homme moderne – croit le monde divisé en deux fractions qui s’affrontent au nom d’un dualisme antagoniste.

J’avais les cheveux jusqu’à la ceinture, Robert Poulet traduisait cela par “gibier de maison des jeunes” alors que j’avais une chevelure de jeune page de la Renaissance. Je lisais Abel Bonnard, ce qui était insupportable par exemple aux communistes. Je lisais aussi, moi, le communiste Paul Nizan. Dont les communistes de ma banlieue, quand j’avais vingt ans, n’avaient jamais entendu citer le nom…

De Robert Poulet, de Paul Werrie, et de mon enfance à Marly-le-Roi, j’ai parlé encore dans mes mémoires, “Je crie à toutes filles mercis” (livre de 2018 et qui fut recensé notamment par un grand article paru dans “Le service littéraire”, numéro 126).

Pour lire mes livres, les esprits véritablement curieux peuvent écrire à: yves47847@gmail.com

Le seul inactuel, hier, aujourd’hui et demain, le seul à obéir au principe du tiers inclus, c’était, c’est et ce sera moi.

Olivier Mathieu.

From → divers

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