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Le Tour d’Antoine : I – Même pas mal ! II – Le Galibier…

3 juillet 2024


I – Même pas mal !

Extraits de l’article du 01/07/2024 d’Antoine Vayer sur cyclisme-dopage.com –

Vers une nouvelle avalanche de records déments.

Vingegaard a réussi à suivre Pogacar dans la première montée test de ce Tour de France de San Luca. C’est incompréhensible. Ou plutôt si. Notre premier petit radar a flashé. Fort.

Le record de cette difficulté était détenu par Roglic. Il datait du Tour d’Emilie 2019, à l’issue d’une classique et donc sans la fatigue d’un lendemain d’étape dure, courue par 35°C, celle gagnée par Romain Bardet. Mais cette fatigue, pour certains, n’existe plus dans le cyclisme « moderne » : ni mal de jambe, ni souffrance, ni souffle court, ni besoin de récupération. Quelques-uns peuvent pédaler à 450 Watts Étalon, à fond tout le temps, toute l’année. Comme avant eux, Marco Pantani. Grâce à l’EPO injectée à la louche, son hématocrite flirtait avec les 60% plutôt qu’avec ses 40% naturels. Son sang était proche de la gelée de groseilles. Il a réussi le doublé de la honte Giro-Tour en 1998, comme rêve de le réaliser Pogacar cette année. En ajoutant la Vuelta, pourquoi pas. Il en parle. Tant qu’on y est. Il a dit, moqueur : « Le Giro a été un entraînement pour Le Tour ». Pantani, junkie mort d’overdose, à qui on a rendu un hommage vibrant à Rimini, ville de son suicide puis dans celle de sa naissance le lendemain. Le symbole est fort alors même qu’on sait qu’il trichait comme un damné. Bientôt Armstrong sera réhabilité ainsi. Après tout, il a lui aussi fait rêver les gens. Le vélo a choisi ses héros. Ce n’est pas Bardet.

Le cyclisme professionnel n’est définitivement plus un sport dur pour certains. C’est devenu du pilotage en course et du réglage de moteur physiologique, pratiqué en stage d’altitude avec les médecins. Les images sont parlantes. Ce n’est même pas du sport pour ceux que j’appelle les mutants, appelés les « fantastiques » par une presse définitivement prostituée, (le mot n’est pas assez fort), décomplexée elle aussi, sans retenue non plus, ni pour Pantani, encore moins pour Pogacar et Vingegaard. Elle baisse la tête également pour avoir l’air d’aimer les coureurs. « Ils font rêver », « Même dopés c’est beau ».

Bardet, le premier maillot jaune a craqué dès le deuxième jour. Il avait bénéficié de la mansuétude des cadors en ralliant Rimini via la côte de Barbotto (5,9 km à 7,7%) au sein du peloton en 16min44sec, soit du 408 Watts Étalon. Puis dans la bosse de San Leon (4,7km à 7,56%), il a pris une minute au peloton en 12min24sec à 442 watts Étalon. Fort, mais faisable humainement. Il a rejoint un équipier qui s’est sacrifié corps et âme pour lui et a résisté au retour du peloton pour une poignée de secondes. Il a craqué physiquement le lendemain à Bologne et a perdu son maillot. C’est encourageant. Nous attendions de voir.

Car comment, sinon en trichant, aurait-il pu suivre Pogacar à San Luca et améliorer ce record délirant de 14 secondes en 5’25 » pour 550 Watts Étalon, soit 7,8 w/kg pour les 2,1 km à 9,48% (vitesse : 23,37 km/h) !? Impossible autrement. Il restait 13 minutes d’effort après le haut de la bosse pour rallier l’arrivée. C’est vraiment incroyable que Vingegaard, bouche fermée, ait pu suivre Pogacar après avoir été gravement blessé sur chute le 4 avril dernier, après avoir passé une quinzaine de jours à l’hôpital et sans avoir refait la moindre apparition en compétition depuis. Il a passé juin en stage à Tignes. La médecine a fait des progrès mais tous ceux qui ont eu cette accidentologie n’ont sûrement pas eu accès aux mêmes soins : prises de sang quasi quotidiennes et rééquilibrages. Personne ne comprend. Ou plutôt on fait semblant de perdre son latin en Italie. Ce Tour va être un nouvel enfer pour ceux qui aiment le vélo et pour les coureurs vertueux qui essaieront de suivre le duo devant, un peu. Tout juste vont-ils se battre pour des accessits après avoir perdu des dizaines de minutes déjà dès la première étape, comme tous les fuyards d’hier, mendiant pour qu’on les laisse s’échapper et espérer gagner un lot de consolation comme l’a fait Kevin Vauquelin. [lors de la deuxième étape]

D’autres records vont tomber. Sur ce Tour, nous avons placé sept nouveaux radars en montagne dans des cols. La moyenne de ceux-ci à l’arrivée nous aidera à définir les seuils humains, suspects, miraculeux et mutants comme depuis 25 ans, méthode qui chaque fois a fait ses preuves.

Avant de tirer un bilan du Tour 2024, nous aurons déjà quelques indices comme ce mini radar de San Luca. Ils n’entreront pas dans la moyenne car trop courts. Par extension et en se référant aux temps limites, on sait déjà que ce Tour va être une boucherie si les mutants se lâchent et rien n’indique qu’ils ne se lâcheront pas.

Radar 1 : Le Galibier à 19 kilomètres de l’arrivée. C’est dès demain, étape 4, mardi 2 juillet. Étape de trois cols. Pied à 2057 m, sommet à 2642 m. 8,65 km à 6,76%. Le record à battre est détenu par Nairo Quintana en 2019 avec 22’22 » et 411 Watts Étalon. L’équivalent à 1000 mètres d’altitude, c’est 444 Watts Etalon. Prédiction meilleur niveau 2024 : 20’18 » et 450 Watts Étalon, équivalent de 487 Watts Étalon à 1000m. L’altitude n’a presque plus d’effet réducteur de performances sur Vingegaard et Pogacar, nous l’avons constaté tant au Tour de France pour le Danois au col du Granon (2413 m) en 2022 et au récent Tour d’Italie pour le Slovène à Livigno (2387 m) qui a ridiculisé le Colombien Quintana en le passant sans un regard.

[…]

Aucun juge ne va pouvoir consulter les dossiers médicaux de Vingegaard qui s’est remis sur pied de son pneumothorax, clavicule et côtes cassées en moins de trois mois.

De toute façon, même pas mal !

*

II – Le Galibier…

Extraits de l’article du 02/07/2024 d’Antoine Vayer sur cyclisme-dopage.com


L’historique depuis 1994 des performances en haute altitude

A Sierra Nevada à 2350 m au centre national du sport, sur les pentes du stratovolcan Teide qui culmine à 3718 m sur l’île de Tenerife dans l’archipel des îles Canaries, sur l’Etna en Sicile à 1950 m au refuge de Sapienza, dans les Alpes au col du Lautaret à 2000 m à l’hôtel des Glaciers devant lequel l’étape est passée au pied du Galibier aujourd’hui, à la station de Tignes 2100m ou à Isola 2000 ou bien moins haut à Font Romeu à 1850m près du centre d’entraînement et d’expertise de la performance de haut-niveau en altitude (créé spécialement sous de Gaulle pour préparer les JO de Mexico de 1968 et adapter les athlètes qui n’avaient ramené qu’une seule médaille d’or des JO en 1964 en équitation), les cyclistes vivent souvent maintenant en haute altitude. Quand ils ne sont pas dans des établissements avec des pièces ou des tentes en « hypoxie » qui simulent cette altitude. Le but premier de tout cela était de « faire des globules ». Initialement. Cela a complètement dérapé. La philosophie a changé. Dans ces endroits haut perchés, on peut se doper, collecter son sang, le bricoler sans risque, faire des réglages avec des produits, trafiquer les muscles, l’hémoglobine et les mitochondries qu’on veut plus grosses, pour qu’elles deviennent des usines au moindre déchet qui limiteraient les efforts de la filière énergétique aérobie, pour ne jamais avoir mal, ni rien ressentir en plaine comme en altitude. Pour espérer pousser plus de 450 watts mutants, partout, tout le temps.

Pas de stress

L’altitude devrait être un gros frein aux watts. Il existe plusieurs stress en altitude. « Normalement », mais apparemment pas pour tout le monde. La pression atmosphérique est diminuée. L’air et l’oxygène qu’on respire passe dans le sang par les parois des alvéoles pulmonaires. Il y a moins de pression quand on pédale au-dessus de 1000 m. Puis plus on grimpe, moins l’oxygène, qui est le principal carburant des cellules pour fournir les efforts d’endurance, passe dans le sang. C’est le premier stress. La teneur en oxygène de l’air est en dessous de 18% en hypoxie alors qu’en plaine elle est vers 20%. Les coureurs et leur encadrement médical suivent la saturation partielle de cet oxygène avec un oxymètre au bout du doigt, comme à l’hôpital. Dans ces centres d’entraînement en altitude, les chambres d’hôtel sont de toute façon similaires à celles d’un hôpital. Au niveau de la mer les coureurs sont à 97-98% de saturation, le sang est bien chargé en oxygène.

En altitude, avec cette moindre pression atmosphérique et les gaz qui en plus se répandent plus dans l’air, cela provoque un deuxième « stress ». La quantité d’oxygène transférable au sang dans les cinq litres que nous respirons est réduite, avec moins de « capacité respiratoire » qu’en plaine. Quand les athlètes arrivent en stage en altitude, leur saturation partielle d’oxygène chute de manière nette, vers 88-90%. Ils ventilent plus, la fréquence cardiaque augmente fortement. Le cœur bat la chamade. Vous avez sans doute ressenti cela au ski en haut des pistes ou si vous êtes allé au Pic du Midi. Ce n’est pas le cas pour tous apparemment. On cherche ces stress en stage pour améliorer la capacité d’adaptation. Sous tente hypoxique, le stress barométrique de pression n’existe pas dans l’air ambiant. On règle donc à 2500 m pour avoir l’équivalent de 2000 m dans la vraie altitude. Après, les athlètes se stabilisent vers 91% en saturation. Au-dessus de 2000m, au début, on peut avoir des petits maux de tête, des points bizarres sur la poitrine. C’est normal. Ce sont les stress dus à la perte de 7 à 8% d’apport en oxygène dans le sang, même si l’air n’est jamais pauvre en oxygène. Non, il passe moins bien à cause de cette moindre pression. Dans le même volume inspiré on en a moins, tout comme d’azote ou les gaz rares qui composent l’air. Il faudrait ventiler 6 litres et non plus 5. Les sensations « bizarres » passent au bout de quelques jours. Il faut boire environ 1,5 litres de plus que d’habitude par jour passé en altitude. Par réfractométrie, l’encadrement contrôle la densité urinaire tous les matins. Il y a plus simple, comme pisser blanc, comme au contrôle antidopage. Il faut aussi avaler plus de glucides. Parce que vous montez des cols mais aussi parce qu’à 2000m, le rythme cardiaque est franchement accéléré, c’est 10 à 15 pulsations par minute de plus qu’en plaine. On consomme donc plus. C’est comme si vous mettiez un masque à oxygène là-haut à 2000 mètres.

Il existe un troisième stress dit « oxydatif ». Il faut éviter la zone lactique en altitude, ne pas faire d’efforts violents longtemps à plus de 1500m. Normalement cela devrait piquer et vous suffoquez à cause de ce triple stress dans les pentes du Galibier, même au Tour, surtout au Tour, on l’a vu pour 98% du peloton. Ipso facto, on pousse beaucoup moins de watts en altitude. Plus on grimpe, moins on peut produire des watts en pédalant ! Il existe une perte de 6% de l’efficacité et de la production de watts par décade, tous les 1000 mètres. Sauf apparemment, comme au Galibier, pour 2% des coureurs. A 2500 mètres ils pédalent pratiquement comme en plaine.


Trop de watts

On prête aux Colombiens et aux Équatoriens d’être plus habitués, eux qui vivent et s’entraînent depuis qu’ils sont tout petits à 3000 mètres d’altitude. Superman Lopez avait réalisé un numéro dans le col de La Loze à 2302 m d’altitude en 2020 avec 432 Watts Etalon, l’équivalent de 459 Watts mutants à 1000m. Il vient d’être suspendu quatre ans pour violation des règles antidopage. Egan Bernal [le Colombien] ex-vainqueur du Tour a terminé à 2’42 » de Pogacar sur la ligne à Valloire. Selon ses données publiées sur Strava, il aurait fait du 400 watts Étalon dans le Galibier, ce qui est déjà remarquable à 2300m d’altitude, mais humain dirons-nous. Richard Carapaz le maillot Jaune a été largué et a terminé à 5’10 ». Il est redescendu de sa montagne. Je vous parlais dans ma chronique 1 […] des records qui allaient tomber, tous, après celui de San Luca. Celui du Galibier c’était celui de Nairo Quintana, autre Colombien consommateur de Tramadol et écarté du peloton pendant un an. Le Galibier : pied à 2057 m, sommet à 2642 m, 8,65 km à 6,76% moyen. Ce record à battre datait de 2019 avec 22’22 » et 411 Watts Étalon. L’équivalent à 1000 mètres d’altitude, c’est 444 Watts Etalon.

Le record historique en altitude appartenait à Tony Rominger en Sierra Nevada à 2515 m où la pente est plus douce. C’était en 1994 quand l’EPO coulait à flot dans les veines. Rominger était à 474 Watts Etalon, équivalent de 512 Watts Étalon à 1000m d’altitude. Pantani l’a “challengé” ensuite […]. On pensait ces temps révolus. Mais Vingegaard […] a recommencé à nous faire peur au col du Granon en 2022 et a remis au goût du jour des performances délirantes en haute altitude. Et puis cette année, Pogacar a titillé à un watt près le record de Rominger au Giro, à Foscagno, à 2285m d’altitude : 480 watts Etalon, équivalent de 511 Watts Étalon à 1000m d’altitude. On savait qu’il était prêt. […].

Cirque du Tour de France
Source : Espé – 01/07/2022

Aujourd’hui cela a été abominable, du jamais vu. On a été au-delà. Pogacar avec UAE [UAE Team Emirates] a fait exploser le record déjà dément de Quintana dans le Galibier. Son équipe l’a emmené au sprint, en organisant même « une bordure » dans le col à 25 km/h de moyenne, pour un nouveau record de 20’46 » sur les 8,65 km à 6,76%, soit 1’36 » de moins que le Colombien en 2019. Dans la dernière pente à 10% à 2600 mètres d’altitude, le Slovène a pédalé seul contre le vent de face à 25km/h. C’est du jamais vu dans l’histoire du vélo et dans l’historique des cols en haute altitude avec cette pente. C’est abominable ce que vous avez vu. C’est bien au-delà d’une performance mutante à 450 watts Etalon. Le vent a contrarié les mesures exactes de watts que calcule Frédéric Portoleau, mais c’est pire que tout.

Du jamais vu.

Abominable.

Il faudrait croire en l’incroyable.

Non. Cela suffit.


Sur les histoires de watts voir par exemple mes articles passés concernant le Tour de France des 19 juillet 2021, 17 juillet 2022, 24 juillet 2022, 9 juillet 2023 et 12 juillet 2023.

From → divers

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