DEPARDIEU, L’ANTI-CYRANO. Un article d’Olivier Mathieu
Emmanuelle Debever avait accusé Gérard Depardieu (l’enquête contre lui avait été classée sans suites).
Je n’avais jamais entendu parler d’Emmanuelle Debever, actrice très oubliée dont j’apprends qu’elle avait joué dans le film “Un jeu brutal” de Jean-Claude Brisseau en 1983.
Ne connaissant pas très bien le cinéma français, je le confesse volontiers, parce que je connais en revanche à merveille le cinéma italien ou celui de plusieurs pays de l’Est, de la Russie à la Serbie, je ne peux me prononcer sur ses talents d’art dramatique. Mais telle n’est pas, aujourd’hui, la question.
Le drame est qu’Emmanuelle Debever – selon les informations parues dans la presse en France et largement reprises par la presse italienne – se serait tuée le 7 décembre, en se jetant dans la Seine. Elle avait 60 ans.
Elle avait fait une apparition dans le film “Danton” du cinéaste polonais Andrzej Wajda (prix Louis-Delluc 1982), où elle interprétait Louison, épouse en secondes noces du révolutionnaire (joué quant à lui par Gérard Depardieu).
Qu’il y ait un lien entre Depardieu (accusé de violences sexuelles par plus d’une dizaine de femmes) et le suicide d’Emmanuelle Deveber, je l’ignore et on ne le saura sans doute jamais avec certitude, mais la question mérite qu’on la pose après la diffusion d’une émission intitulée “Complément d’enquête” du jeudi 7 décembre, jour selon le journal Libération du suicide d’Emmanuelle Debever.
Si l’auteur de cet article est attaché à la présomption d’innocence (celle qui a été largement niée à David Hamilton), et s’il a toujours été révolté par les lynchages médiatiques, le cas de Depardieu me semble très différent de celui d’autres artistes qui sont accusés de viols ou d’agressions sexuelles.
Ce n’est pas le nombre des accusations qui peut, à lui seul, démontrer quoi que ce soit. Mais il est évident à tout esprit objectif que cette fois – dans le cas Depardieu, donc – les accusatrices sont de plus en plus nombreuses et, surtout, ne sont pas anonymes. Une autre comédienne, Charlotte Arnould, qui avait déposé plainte en 2018 pour des accusations de viol et harcèlement sexuel contre Depardieu, n’a révélé son identité qu’en 2021, mais l’a révélée.
Personne ne peut nier qu’il existe en revanche une grande quantité d’interviews dans lesquelles Depardieu, il y a quelques années, se vantait d’avoir commis des viols dans sa jeunesse. Tout en tenant des propos parfaitement nauséabonds. Je ne vois pas comment qualifier d’autre chose que de nauséabonds les propos de Depardieu sur le viol, ou plus récemment lors d’un voyage en Corée du Nord (pays qui, rappelons-le, confine avec la Russie) où, visiblement après avoir trop bu, il avait tenu des propos tellement vulgaires que l’on s’attendrait davantage à les entendre dans la bouche d’un paumé que dans celle d’un acteur ayant interprété Cyrano d’Edmond Rostand.
Cela me rappelle, au passage, que lors de la sortie du film “Cyrano”, j’avais sans doute été le seul dans la presse – y compris s’il s’agissait d’un petit journal – à écrire que mille acteurs auraient pu interpréter Cyrano mieux, mille fois mieux que Depardieu. Toute mon enfance durant, j’ai lu la pièce de Rostand, je la connais par cœur et Depardieu en Cyrano n’était absolument pas crédible. J’avais noté à l’époque, et pense toujours aujourd’hui que sa diction était pitoyable. Ce n’est pas ainsi qu’on lit des alexandrins, n’y avait-il personne pour l’enseigner à Depardieu? Il n’y avait chez lui absolument aucun scrupule de diction poétique.
Les phrases de Depardieu en Corée du Nord sont des phrases que l’on s’attendrait à entendre parmi des adolescents dans la cour d’un lycée de banlieue, ou dans des bars de province après la huitième tournée. Leur problème n’est pas qu’elles soient vulgaires, si au moins il s’était agi d’un quelque chose de rabelaisien. Il y a eu dans toute la littérature en France des vulgarités de génie. En revanche, la vulgarité de Depardieu est d’une mortelle banalité. Aucun génie ici. Le contraire du génie. C’est une vulgarité qui n’a rien de littéraire, rien d’original, rien d’artistique. C’est le degré zéro de la pensée (chose que j’avais déjà notée, vers 2011, dans un petit recueil de poèmes ludiques où l’un de mes sonnets déplorait la terrible et terrifiante lourdeur d’esprit de Depardieu).
Les photos parues dans la presse d’Emmanuelle Debever me semblent celles d’une jeune fille gentille et simple d’un peu plus de vingt ans, qui désirait faire une carrière d’actrice. Elle avait écrit sur Facebook que Depardieu avait été “acquitté” de viol, ce qui était inexact et d’ailleurs impossible puisqu’il n’y avait pas eu de procès. L’enquête avait été classée sans suites. Mais la mort d’Emmanuelle Debever, quel que soit le motif de son suicide, est une triste nouvelle.
Depardieu a eu une enfance difficile et ce n’est pas moi qui le lui reprocherai. Il n’a quasiment pas été à l’école et ce n’est pas moi, qui n’ai jamais été scolarisé, qui le lui reprocherai. Le fait d’avoir été petit loubard ne signifie rien en soi. Mais voilà, n’est pas Villon – ou Albertine Sarrazin – qui veut.
Depardieu est devenu richissime, bravo et tant mieux pour lui. Mais acteur? C’est là que je m’interroge sur ce mot, à moins que n’importe qui ne devienne “acteur” dès lors qu’une caméra tourne. Pour moi, un acteur plus talentueux, plus doué, plus authentique, était Patrick Dewaere. Pas Depardieu.
Depardieu, dans sa jeunesse, souffrait de difficultés d’élocution. Il était doublé dans ses premiers courts métrages. Ce qui m’avait vraiment frappé, au moment de la sortie du film “Cyrano”, était que l’on puisse lire la poésie aussi mal que lui. C’était aussi qu’un cinéaste l’ait choisi. Soit la France n’avait plus d’acteurs, m’étais-je dit, soit les cinéastes pour gagner de l’argent choisissaient ou étaient obligés de choisir des acteurs connus, soit les Français n’avaient jamais lu le chef-d’œuvre d’Edmond Rostand, soit ils ne l’avaient jamais compris.
Il faut ne pas avoir le sens du ridicule pour faire jouer la scène du balcon par… Depardieu.
Léon Daudet, certes, trouvait Rostand apoétique. Mais plus apoétique que Depardieu, tu meurs. Quiconque a lu et compris la pièce ne peut en aucun cas imaginer Cyrano sous les semblances de Depardieu.
Aucune poésie, Depardieu, comme acteur interprétant Cyrano, aucune poésie dans ses interviews, aucune poésie quand il se promène en Corée du Nord.
Et non, je ne peux pas imaginer Cyrano proférer les propos insanes et répugnants de Depardieu sur les femmes.
Mais quoi donc a fait de ce monsieur une richissime vedette sinon le mauvais goût et l’inculture totales, depuis des décennies, qui règnent dans le pays de France? Depardieu, c’est l’anti-Cyrano.
Olivier Mathieu.
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