Il y a 80 ans, « le Nouvel Ordre mondial promis aux juifs »
Cambon, Balfour, Greenwood…
Extraits de l’article de Laurent Guyénot paru sur E&R le 19 septembre dernier.
La majeure partie de la diplomatie sioniste se déroule en secret, par la corruption et le chantage. Mais, parfois, il est jugé approprié d’obtenir d’un gouvernement une déclaration officielle. Le plus célèbre de ces documents est la brève lettre écrite le 2 novembre 1917 par le ministre britannique des Affaires étrangères Lord Arthur Balfour et adressée à Lord Lionel Walter Rothschild, président de la Fédération sioniste de Grande-Bretagne.
Le Premier ministre britannique Lloyd George expliqua clairement, selon un rapport de la Palestine Royal Commission de 1937, la contrepartie de cette lettre :« Les leaders sionistes nous ont donné la promesse ferme que, si les alliés s’engageaient à faciliter l’établissement d’un foyer national pour les juifs en Palestine, ils feraient de leur mieux pour rallier le sentiment et le soutien juifs à travers le monde en faveur de la cause des Alliés. Ils ont tenu parole. » (Selon un rapport de 1937 de la Palestine Royal Commission, cité dans Alfred Lilienthal, What Price Israel ? (1953), Infinity Publishing, 2003, p. 18-21.)[…]
On sait peu que des déclarations similaires à la déclaration Balfour ont été obtenues simultanément d’autres puissances européennes, et notamment de la France. La Grande-Bretagne, en effet, ne pouvait pas agir dans ce domaine sans accord de ses alliés. (cf. Martin Kramer, “The Forgotten Truth about the Balfour Declaration,” 5 juin 2017, sur mosaicmagazine.com)
Dans une lettre datée du 4 juin 1917, le diplomate français Jules Cambon, alors secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, assure Nahum Sokolow, chef de l’Organisation sioniste mondiale depuis 1906, de la sympathie du gouvernement français pour le projet « de développer la colonisation israélite en Palestine », et cite avec approbation tacite l’idée que « ce serait faire œuvre de justice et de réparation que d’aider à la renaissance, par la protection des puissances alliées, de la nationalité juive, sur cette terre d’où le peuple d’Israël a été chassé il y a tant de siècles. » Le triomphe de la cause sioniste, conclue Cambon, « est lié à celui des alliés ».
Cette « déclaration Cambon », non seulement anticipait la déclaration Balfour, mais ouvrit la voie à celle-ci. De retour à Londres, Sokolow, dont le rôle dans le triomphe du sioniste est méconnu, déposa la lettre Cambon au Foreign Office, où elle stimula un esprit de compétition. En janvier et février 1918, il retourna à Paris, cette fois dans le but d’obtenir une déclaration publique française en faveur de la déclaration Balfour. Un bel exemple de diplomatie profonde transnationale.
[…]
Durant la Seconde Guerre mondiale, Weizmann et Churchill conspirèrent ensemble pour entraîner les États-Unis dans la guerre, en renouvelant la stratégie de la déclaration Balfour.
Dans une lettre à Churchill datée du 10 septembre 1941, Weizmann écrivit :
« J’ai passé des mois en Amérique, à voyager d’un bout à l’autre du pays. […] Il n’y a qu’un seul groupe ethnique important prêt à se tenir, unanimement, aux côtés de la Grande-Bretagne et pour une politique de mobilisation pour elle : les cinq millions de juifs américains. […] Il a été largement reconnu par les hommes d’État britanniques que ce sont les juifs qui, dans la dernière guerre, ont effectivement aidé à faire pencher la balance en Amérique en faveur de la Grande-Bretagne. Ils sont prêts à le faire – et peuvent le faire – à nouveau. » (cf. David Irving, Churchill’s War, vol. 2 : Triumph in Adversity, Focal Point Publications, 2001, p. 76-77.)
[…]
Dès son arrivée au poste de Premier ministre en mai 1940, Churchill avait chargé Arthur Greenwood, du cabinet de guerre, de rédiger un document promettant aux élites juives, en cas de victoire britannique, non seulement la Palestine, mais un rôle de premier plan dans le « ouvel ordre mondial », en compensation des « torts subits par le peuple juif ». Bien que peu connu, ce document a, selon les termes du rabbin Stephen Wise (un des plus ardents sionistes américains depuis l’époque de Herzl), « des implications plus larges et de plus grande portée » que la déclaration Balfour. Cette « promesse de Greenwood » (the Greenwood Pledge) et a été rédigée il y a exactement 80 ans, et publiée par le New York Times dans son édition du 6 octobre 1940, sous le titre extraordinaire « Nouvel Ordre mondial promis aux juifs » (reproduction ici et ici).[…]
Prévision du Nouvel Ordre mondial
« Lorsque nous aurons remporté la victoire, comme nous le ferons assurément, les nations auront l’occasion d’établir un Nouvel Ordre mondial fondé sur les idéaux de justice et de paix. Dans un tel monde, nous espérons que la conscience de l’humanité civilisée demandera que les torts subis par le peuple juif dans tant de pays soient réparés. »
« Dans la reconstruction de la société civilisée après la guerre, il devrait y avoir et il y aura une réelle opportunité pour les juifs partout dans le monde d’apporter une contribution distinctive et constructive ; et tous les hommes de bonne volonté doivent assurément espérer que dans la nouvelle Europe, le peuple juif, quel que soit le pays où il vit, aura la liberté et la pleine égalité devant la loi avec tout autre citoyen. »
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