La « science » n’a pas de limites, on dirait… Dans le journal « Paris Match », on apprend que : « Soixante-dix ans après sa mort, le testicule d’Adolf Hitler refait une nouvelle fois surface dans les tabloïds allemands ».
Voilà donc une nouvelle d’une grande importance. C’est un peu comme l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’homme qui…
Voilà donc un journal français (et quel journal, « Paris Match ») qui signale à ses lecteurs français un sujet des « tabloïds » allemands.
Toujours selon « Paris Match », qui cite un certain « professeur Peter Fleischmann, de l’université d’Erlangen-Nuremberg », la vérité serait que « le Führer était bel et bien monorchide, rapporte le quotidien Bild. Le fameux testicule faisait l’objet de multiples rumeurs depuis son décès, qui paraissaient être des hypothèses pour montrer qu’Hitler était fou. Néanmoins, aucune preuve valable n’avait permis de valider cette théorie, que de nombreux experts considéraient comme jubilatoire ».
La science moderne est épatante… Donc, si l’on suit ce raisonnement, un professeur Peter Fleischmann a dû dire à « Bild » quelque chose dont parle à son tour « Paris Match ». Quelque chose, mais quoi ? Que Hitler était « monorchide ».
N’ayant pas quant à moi la science du professeur Fleischmann, il m’est impossible de dire si Adolf Hitler avait une, deux, trois couilles, ou davantage.
S’il m’est permis de poser la question rapidement, j’avoue ne pas comprendre en quoi le fait d’avoir une couille ferait de quelqu’un un « fou ». En tout cas, il doit y avoir en France et ailleurs des gens qui, pour diverses raisons, n’ont qu’un testicule. Ce peut être, je suppose, de naissance ; ou bien à la suite d’un accident ou d’une opération. Certainement, tous ces gens qui n’ont qu’un testicule (et dont je ne me permettrais certes pas de me moquer) ne sont pas « fous ». Mais ils ne seront peut-être pas contents de la lecture de cet article de « Paris Match ».
Le professeur Fleischmann s’appuie, semble-t-il, sur la découverte (?) d’un « directeur des archives de la ville bavaroise de Nuremberg », qui aurait « mis la main sur un rapport médical daté du 12 novembre 1923 », signé par « Josef Steiner Brin, le médecin de la prison de Landsberg ».
« Steiner Brin », comme écrit « Paris Match » ? Sans doute faut-il lire Josef Brinsteiner
Une remarque du docteur Brinsteiner révélerait « que malgré sa bonne forme, Hitler était victime de cryptorchidie du côté droit. Cette anomalie est une absence d’un ou deux testicules dans le scrotum ».
« Paris Match » ajoute : « Ce document historique prouve donc dans un premier temps que le dictateur nazi était bien monorchide ».
Ma foi, il faudrait peut-être que quelqu’un explique aux journalistes de « Paris Match » qu’un document, même si on le définit soi-même comme « historique », ne prouve… rien du tout. Il y a eu il y a quelques années la bonne blague des « carnets » de Hitler, qui étaient des faux.
En d’autres termes, un certificat médical de 1923, que l’on « retrouverait » par miracle en 2015, peut être un faux. Ou encore, quelqu’un peut avoir imité l’écriture du docteur Brinsteiner, lequel n’est évidemment plus de ce monde. Une analyse graphologique de ce document a-t-elle été effectuée ? On n’en sait rien, et « Paris Match » ne le dit pas. En effet, n’importe qui peut fabriquer ou trafiquer n’importe quel vieux certificat médical, et raconter n’importe quoi sur n’importe qui.
« Paris Match » écrit, exactement : « Ce document historique prouve donc dans un premier temps que le dictateur nazi était bien monorchide et dans un deuxième temps que la perte de son testicule n’a pas été provoquée par une blessure de guerre, comme l’annonçaient un bon nombre de rumeurs ».
Ce document historique « prouve » (sic!!!) que la perte (éventuelle) d’un testicule n’a pas été provoquée par une blessure de guerre ?
J’avoue ne pas comprendre. Le certificat étant daté de 1923, et donc cinq ans après la fin de la première guerre mondiale, je ne vois pas d’empêchement chronologique. Le docteur Brinsteiner aurait écrit que Hitler aurait été « monorchide », mais a-t-il décrit les causes de cette (présumée) absence d’un testicule ?
Si j’écris que Monsieur X. est « monorchide », en quoi mon écrit « prouve-t-il » quoi que ce soit au sujet des causes du fait que j’énonce ?
Ce testicule de Hitler, ce testicule (toujours selon « Paris Match ») présumé manquant à l’appel « peut également expliquer le rapport à la sexualité difficile qu’exprimait le nazi ».
Voilà quelque chose de passionnant. Où est-ce que Hitler a « exprimé » un rapport à la sexualité difficile ?
Est-ce que « Paris Match » veut indiquer que Hitler « exprimait » (par son attitude, peut-être?) un tel « rapport à la sexualité difficile » ?
Euh, c’est très subjectif quand même, et je ne sais pas si les journalistes de « Paris Match » sont sexologues, psychanalystes ou devins, voire les trois à la fois.
Mais comment peut-on juger, d’après des photographies, ou d’après je ne sais quoi, si quelqu’un (mort en 1945) avait un rapport « facile » ou un rapport » difficile » à la sexualité ?
Est-ce que les inventeurs de la bombe atomique, est-ce que le président américain qui a décidé de jeter la bombe atomique sur le Japon avaient un rapport « facile » ou « difficile », par exemple, avec « la » sexualité ?
Je serais fort embarrassé, personnellement, si je devais décider si De Gaulle, ou Roosevelt, ou Churchill avaient un rapport « facile » ou « difficile » à « la » sexualité…
Parlant de Hitler : « Il n’est pas certain qu’il avait des relations sexuelles. La honte vis-à-vis de cette anomalie visible pourrait avoir eu des conséquences», affirme le quotidien allemand «Die Welt».
L’article de « Paris Match » s’achève par la phrase : « En outre, il était très probable qu’il soit stérile ». Une phrase incorrecte grammaticalement, déjà, parce que si je dis « il était », en français il faut écrire « qu’il fût » et pas « qu’il soit ».
Je ne sais pas si les journalistes de « Die Welt » sont sexologues, psychanalystes, ou devins, voire les trois à la fois.
Mais il y a beaucoup de gens dont on pourrait dire : « Il n’est pas certain qu’il avait des relations sexuelles ». Moi, par exemple, je n’étais pas sous le lit du président américain d’origine juive Roosevelt, gravement handicapé et qui a caché à son peuple pendant des dizaines d’années qu’il vivait sur une chaise à roulettes.
Je ne me permettrais pas de dire, et sans doute « Paris Match », pour les mêmes raisons que moi ou pour d’autres, ne se permettrait pas de dire, au sujet de Roosevelt : « Il n’est pas certain qu’il avait des relations sexuelles ».
« La honte vis-à-vis de cette anomalie visible pourrait avoir eu des conséquences» ? Certes, le mode conditionnel (« pourrait ») permet de dire n’importe quoi. Mais qui dit, qui affirme, qui établit scientifiquement que l’absence d’un testicule doive forcément provoquer de la « honte » chez un individu ? Moshé Dayan était né le 4 mai 1914. Ses grands-parents avaient été juges rabbiniques, justement le sens de « Dayan » en hébreu. Il était borgne, par la faute d’une balle française qui lui avait perforé l’œil. Un œil gauche, donc, définitivement perdu. D’où le bandeau noir qu’il portait. Est-ce que les journalistes de «Paris Match » se permettraient d’écrire que Moshé Dayan en ressentait de la « honte » ? Est-ce que la presse – française ou allemande, peu importe -, est-ce que les « tabloïds » se permettraient de surnommer, en première page, Moshé Dayan : « n’a qu’un oeil » ? Est-ce que Moshé Dayan, qui n’avait qu’un œil, avait des relations sexuelles ? Est-ce qu’il ressentait de la « honte » ? Je l’ignore. Par respect pour un mort, ou pour un handicapé, les gens qui écrivent dans la presse ne devraient pas se permettre de faire des suppositions dignes d’un journalisme de bas étage ou de psychanalyse à la petite semaine. Est-ce que Roosevelt, sur sa chaise à roulettes, avait des relations sexuelles ? Je l’ignore, moi.
Heureux les journalistes de « Paris Match », qui pontifient au sujet de Hitler : «Il n’est pas certain qu’il avait des relations sexuelles. La honte vis-à-vis de cette anomalie visible pourrait avoir eu des conséquences».
Au fait, et même si Hitler n’avait pas eu de relations sexuelles, où serait le problème ? Les religieux, par exemple, ne font-ils pas vœu de chasteté ? Les journalistes de « Paris Match » sont-ils au courant de l’existence des « ascètes » ? J’entends par là : est-ce que le fait d’avoir des relations sexuelles doit être obligatoire ? Est-ce que cela doit être normé ? Et est-ce que cela doit être normé par les journalistes de « Paris Match » ?… Est-ce que ce sont les journalistes de « Paris Match » qui doivent édicter les normes de la sexualité ?…
De deux choses l’une, ou bien Hitler était un handicapé (comme Roosevelt), ou bien c’était un blessé de guerre (comme Moshé Dayan).
Mais la loi française n’interdit-elle pas, à juste titre, la discrimination des personnes handicapées ? Le handicap ne constituait-il pas 20,80% des réclamations adressées en 2014 au Défenseur des droits en matière de discrimination ?
A partir de là, est-il légal, est-il licite de publier des certificats médicaux de personnes décédées (qu’il s’agisse de Hitler, de Roosevelt, de Dayan ou de M. Tout le monde) ?
Serait-il légal ou licite de se moquer, dans la presse, du président américain d’origine juive Roosevelt, handicapé notoire ? Serait-il légal ou licite de se moquer, dans la presse, de Moshé Dayan, borgne à la suite d’une blessure de guerre ?
Soyons sérieux. Il existe des milliers de livres, des centaines de milliers d’articles (cherchez sur Internet !) pour affirmer que Hitler était homosexuel, ou qu’il participait à des orgies, ou qu’il était impuissant, ou qu’il était stérile, ou qu’il a mis au monde des tonnes d’enfants supposés. Et j’en oublie.
Le problème – qui est un simple problème de logique – étant que s’il était stérile, ou homosexuel, ou impuissant, on ne comprend pas comment il a fait, par exemple, pour avoir des enfants.
Essayez d’être à la fois homosexuel, impuissant, stérile, monorchide et père de tant d’enfants, et vous serez un véritable phénomène de foire !
Toutes les affirmations sur la sexualité de Hitler se contredisent les unes les autres, depuis environ 50 ou 60 ans, d’une façon absolument grotesque. Mais certes, je comprends bien les journaux, qui ne peuvent pas parler toujours des princesses de Monaco. De temps en temps, Hitler à la une des journaux, ça fait vendre.
Ce qui est un peu inquiétant, me semble-t-il, est le fait que beaucoup de gens et de journalistes, depuis 1945, ne trouvent rien de mieux à faire que d’enquêter sur la sexualité de Hitler. Une sexualité dont ils ne savent absolument rien, et qui les pousse à publier des thèses aberrantes, ridicules, dénuées de tout fondement.
Un journalisme d’un niveau pathétique, des sexologues au petit pied, des sociologues du néant, des esclaves du « politiquement correct » racontent strictement n’importe quoi.
Tel est, hélas, le monde moderne.
Je le répète, que Hitler ait eu une couille, deux couilles, trois cents couilles, quatre mille couilles, cinquante mille couilles ou six millions de couilles, moi je m’en bats les couilles.
Quel scandale ce serait si l’on retrouvait après sa mort des certificats médicaux sur Churchill si des journalistes faisaient des allégations sur l’état – qui ne devait certes pas être brillant, le pauvre homme – des cellules de son foie quand il est mort.
Quel scandale ce serait si l’on publiait après sa mort des certificats médicaux ou des documents, qui existent, concernant le président américain d’origine juive, Roosevelt, qui se trouva en plus d’une occasion – pour le dire poliment – démuni du contrôle de ses intestins, et si l’on en tirait des conclusions sur son « rapport difficile à la sexualité » ?
Je n’ai pas envie de plaisanter avec tout ça. La monorchidie, me dit-on, touche un très grand pourcentage d’enfants prématurés. Or, je suis un ancien prématuré (mon frère est même mort à la naissance), comme l’a raconté ma grand-mère, l’écrivain communiste Marie de Vivier, dans le beau roman qui m’est consacré, et dont je conseille la lecture (Marie de Vivier, « Cent pages d’amour, lettre à un petit garçon », Paris, 1971).
Et je me pourrais me sentir offensé par des affirmations journalistiques qui évoquent, ainsi, un lien possible entre la « folie » et un handicap qui touche tant d’enfants (en particulier, mais pas exclusivement les prématurés). Bien des monorchides et d’anciens prématurés pourraient se sentir, eux aussi, offensés.
Et cela, dans la société du Téléthon !
Un peu de respect pour les morts, pour tous les morts (je l’ai toujours dit), pour les handicapés, pour les blessés de guerre et pour ceux qui n’ont qu’une couille.
En outre, le monde moderne ne témoigne-t-il pas un infini respect à des milliers d’hommes politiques – du passé ou du présent, peu importe – qui n’ont pas un cerveau, deux cerveaux ou trois cerveaux, mais bel et bien zéro cerveau ?
Qu’est-ce qui est le plus préoccupant : que Hitler, mort en 1945, ait (selon l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’homme) eu une seule couille, ou que beaucoup de nos gouvernants n’aient pas de cerveau ?
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