"JE NE SUIS PAS CHARLIE" PAR OLIVIER MATHIEU
Décidément, comme disait Robert Zimmermann dit « Bob Dylan », les temps changent.
« CRS = SS »?
Je me souviens d’avoir feuilleté, jadis, dans les années 1970, « Charlie Hebdo », « Hara Kiri » et les journaux de cette sorte.
Je me souviens par exemple, dans ces organes de presse, de diatribes contre la police et contre l’armée (que je partageais sans doute en partie; du moins, en 1982, je me suis fait moi-même réformer ‘P4’ de mes « obligations militaires »).
Aujourd’hui, en 2015, la presse diffuse des films où l’on voit les journalistes de « Charlie-Hebdo » amassés sur le toit de leur immeuble, suite à l’agression dont ils ont été les cibles. On entend leurs dialogues.
Des voix demandent anxieusement : « Vous avez appelé la police? » Réponse: « Oui oui, ils ont déjà été appelés »!
Force est donc de constater que, depuis les années 1970 (où les journaux comme « Charlie » publiaient des slogans, d’ailleurs à mon avis parfaitement faux, comme : « CRS = SS »), les temps ont changé puisque des journalistes n’hésitent plus, désormais, à appeler la police. Ce que l’on peut comprendre, vu les circonstances, si l’on veut. Mais cela ne démontre pas non plus une cohérence idéologique des plus parfaites.
Des terroristes professionnels?
Hier, on parlait de terrorisme professionnel. J’ai tout de suite eu de grands doutes. En effet, une journaliste racontait que c’était elle qui, sous la menace, avait donné le code d’entrée numérique aux deux tueurs. Voilà donc, me suis-je dit, deux « terroristes professionnels » qui n’avaient rien prévu pour passer la porte d’entrée, évidemment munie d’un « digicode »? Aujourd’hui, on apprend que l’un des « complices » des deux tueurs présumés en question s’est rendu de son plein gré à la police. Et que cette bande de gugusses a oublié une carte d’identité dans la voiture qu’ils employaient… Et que les deux suspects en question seraient deux frères, dont l’un vend du poisson dans un supermarché Leclerc. Force est de dire que la thèse du « complot international » en prend peut-être un coup. Cela va ennuyer M’dame Marine Le Pen, je le crains, qui voyait déjà un complot de l’intégrisme islamique, mais c’est comme ça. La thèse du « terrorisme » organisé est sans doute à revoir. En tout état de cause, ce sont les enquêtes qui devraient se prononcer, et pas les déclarations à chaud des premiers venus.
Des « héros de la liberté »?
La mort des dessinateurs (certains septuagénaires ou octogénaires) de « Charlie-Hebdo », et tout pareillement celle des policiers, est évidemment, comme toute mort, déplorable c’est-à-dire, au sens propre du mot, digne d’être déplorée.
Cela dit, est-ce que M. Cabut (et ses confrères) est vraiment un « martyr de la liberté » ou, plutôt, de quelle liberté parle-t-on?
Personnellement, je me souviens d’avoir été agressé, le 6 février 1990, sur les plateaux d’une émission de télévision. J’ai été agressé par un commando qui, le lendemain, affirmait ou revendiquait, dans « Tribune juive », journal officiel de la communauté juive, qu’il provenait d’Israël. Voilà donc un commando, en provenance de l’étranger, qui venait agresser un citoyen français au casier judiciaire vierge, je parle de moi, et qui, invité par une chaîne de télévision (TF 1), s’exprimait c’est-à-dire faisait usage de sa liberté d’expression.
Or, je ne me souviens pas que MM. Cabut, Wolinski, Val et autres aient protesté. Je ne me souviens pas qu’ils aient pris ma défense. Je ne me souviens pas de manifestations spontanées de soutien en ma faveur, sur les places de France.
Je respecte évidemment les choix de chacun, mais je me borne à faire noter que, ce jour-là et dans cette émission, j’avais prononcé des propos avec lesquels on pouvait et on peut ne pas être d’accord, mais qui n’étaient pas – à cette date – interdits ou illégaux, ce qu’ils sont devenus par la suite et quelques mois plus tard à peine.
Mes propos étaient même, si vous voulez et je vous le consens, ceux d’un crétin, d’un imbécile ou d’un idiot. Mais même dans ce cas, je ne crois pas que cela aurait autorisé un commando paramilitaire à intervenir, sur un plateau de télévision, pour frapper un citoyen français au casier judiciaire vierge et qui faisait usage, ou plutôt qui essayait de faire usage de cette fameuse « liberté d’expression » dont on parle tant aujourd’hui.
Que mes propos n’aient pas été illégaux à cette date-là est en outre évident puisque, au demeurant, aucune plainte ne fut déposée contre moi par quiconque. Et si mes propos n’étaient pas illégaux, en tout cas à ce moment-là, il me faut donc encore supposer que l’action illégale était celle d’un commando qui venait interrompre une émission de télévision, frapper un invité, et revendiquer l’action dans un journal de la communauté juive. Or, la police française n’a jamais trouvé les auteurs de cette agression commise contre ma personne. Et personne n’est jamais venu se dénoncer, le lendemain, dans un commissariat.
J’aurais d’autant plus déploré que l’on s’en prenne à la liberté d’expression de M. Cabut et de ses confrères si ceux-ci, à l’époque, avaient manifesté en défense de la mienne. Le problème est en effet que la liberté d’expression est totale, ou qu’elle n’est pas. J’ai un peu peur de devoir penser ou hypothiser que la liberté d’expression, pour M. Cabut, s’arrêtait à la liberté d’expression de M. Cabut. Je ne me souviens pas non plus que M. Cabut ait protesté lorsque son ancien confrère et collègue, un autre dessinateur, Konk, fit lui aussi usage de sa liberté d’expression d’une façon qui ne correspondait évidemment pas à celle de M. Cabut. Il y aurait d’autres exemples à donner.
En conclusion, M. Cabut était évidemment attaché à sa propre liberté d’expression, et je le comprends. A mon humble avis, cependant, c’est mon opinion et je la partage, la défense de la liberté d’expression devrait être totale, complète et exhaustive. On ne peut pas, personne ne devrait défendre une liberté d’expression qui soit limitée à la sienne propre. Et peut-être sera-t-il permis de se poser la question: est-ce que ce n’est pas seulement celui qui défend la liberté d’expression dans son ensemble qui devrait pouvoir être appelé un martyr de la liberté d’expression?
Faire un « génie » de M. Cabut est sans doute également exagéré, me semble-t-il. Certes, « les morts sont tous de braves types », mais M. Cabut n’est pas Léonard de Vinci ou Tiepolo.
Monsieur Cabut restera juste comme un simple dessinateur, qui a fait usage de sa liberté d’expression (liberté d’expression par bonheur garantie à tous par la Constitution, donc à M. Cabut tout comme à moi et comme à vous) et qui, comme tout un chacun, a pris les risques liés à l’exercice de l’expression de ses propres opinions, qu’il exprimait récemment et depuis quelques années sous la protection de la police. Une protection policière que d’autres n’ont jamais reçue mais que M. Cabut (les années 1970 et donc les slogans « CRS = SS » étaient loin) avait acceptée. Ce qui était son droit (tout comme c’eût été mon droit, si jamais elle m’avait été offerte, de la refuser; mais elle ne m’a évidemment jamais été offerte, à moi).
Reste un drame, celui qui s’est produit à « Charlie-Hebdo », dont il reste à espérer que l’on n’en profite pas pour encore amoindrir les libertés de tous, et que des politiciens ou des politiciennes sans scrupules ne s’en servent pas avec d’obscures arrière-pensées électoralistes.
Et tout le monde ayant le droit d’être Charlie, droit que je respecte et que je ne conteste à personne, je prends quant à moi, avec la permission de nos bons princes, celui de ne pas l’être.
Olivier Mathieu
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