HISTOIRE DE LA CHANSON PAR LE PETIT BOUT DE LA LORGNETTE : PIA LA COQUETTE ?
Quelques rappels biographiques destinés aux amoureux de la chanson française.
On lit presque partout où il est question de Pia Colombo, c’est-à-dire pas assez à mon goût, et en premier lieu sur Internet, que cette dernière serait née en 1934.
Sur l’encyclopédie du conformisme, des inexactitudes ou des articles plus que tendancieux sur certains sujets – je veux parler de Wikipédia – on fait naître cette dernière le 6 juillet 1934.
Le numéro de l’été 1986 de l’ancienne revue consacrée à la chanson Paroles et Musiques indique également 1934 ; mais cela est rectifié par le numéro de l’été 1996 de la revue qui a pris sa suite Chorus, car elle nous donne la bonne année : 1930.
Ainsi, après recherche à la source, autrement dit à son acte de naissance, il ressort que la date exacte de la naissance de Pia Colombo est le 16 juillet 1930. Elle a été déclarée le jour même de sa naissance par sa grand-mère Marie, la mère de sa mère, veuve et sans profession ; celle-ci était alors âgée de quarante-huit ans. Par un oubli du maire qui signe l’acte, Pia est née à – je cite – « trente minutes » mais on ne sait pas de quelle heure. Avant seize heures toujours, puisqu’elle a été enregistrée le jour même à cette heure-là. L’accouchement ayant eu lieu chez la grand-mère.
Est-ce par coquetterie que l’on retrouve l’année 1934 sur certains articles de la presse du temps passé présentant Pia Colombo ? Ou n’y est-elle pour rien ? Il suffit parfois d’un recopiage des uns sur les autres pour entretenir des erreurs. C’est dire si ces erreurs de près et pour des faits minuscules, volontaires ou involontaires, se retrouvent encore plus de loin et pour les faits « majuscules ». C’est l’un des premiers principes de l’analyse raisonnée et révisionniste dans tous les domaines de l’Histoire grande ou petite. Je note donc, comme dit plus haut, que la revue bien informée Paroles et Musiques de l’été 1986, juste après la mort de Pia, a écrit « 1934 » ; elle répète probablement ce qui se dit dans l’entourage de cette dernière. Par contre la revue Chorus, dans son numéro de l’été 1996, indique (après recherche ?) la bonne année : 1930. Pia aurait-elle été une coquine qui aurait voulu se rajeunir un peu ? Question ouverte.
Pia Colombo vers l’âge de trente ans.
(photo anonyme publiée dans un article de la revue Regards de janvier 1960).
*
En attendant, notre « artiste lyrique » comme il est écrit par ailleurs (sur son acte de décès) est effectivement née à Homblières, petit village picard de l’Aisne dont le seul fait d’histoire connu à ce jour est d’avoir été le point de rencontre, le 7 novembre 1918, au presbytère de cette localité, d’officiers allemands et français, prémices à la signature de l’armistice de Rethondes, en forêt de Compiègne…
Ses trois seuls prénoms enregistrés sont bien : Eliane, Marie, Amélie. Contrairement à ce que certains écrivent, il n’est pas question de Pia sur le document officiel. C’est donc bien un pseudonyme, ou peut-être un petit-nom d’usage au sein de la famille. Mais j’en doute, vu ce que fut la jeunesse de Pia élevée par sa grand-mère maternelle picarde bien loin de ses parents.
La famille de Pia est la famille des masques où le père n’est peut-être pas un Colombo, le grand-père paternel n’ayant été probablement qu’un faux père, où la grand-mère maternelle fut la mère sociale de Pia, sa bonne et seule mère et où la petite « parisienne » fut une enfant des champs quelque peu rebelle à l’école et vivant ailleurs dans des rêves. « 1934 » pour « 1930 » est peut-être un autre de ces masques. De même en est-il de ce pseudonyme qui chante bon l’Italie et évoque aussi indéniablement la religion puisque « pia » signifie « pieuse », mais aussi « charitable » en ce pays méditerranéen. Je n’ai aucune information sur la place de la religion dans la jeunesse de Pia, cette jolie brunette au visage d’une beauté si particulière qui vit encore dans nos enregistrements audio-visuels.
« Pia », c’est sa généalogie affirmée, sa généalogie populaire, son brin de noblesse latine. Sa volonté d’être quelque part une italienne, du pays du bel canto. D’être pleinement une Colombo. Sa touche d’exotisme. C’est de même sans doute cette volonté de se sentir proche de la Môme Piaf, mais – elle l’a affirmé – sans se confondre avec elle et avec un répertoire plus relevé.
Pia Colombo est par bien des côtés, après Piaf, l’une des dernières représentantes de la chanson réaliste, ne serait-ce que par sa manière de chanter, le roulement acharné de ses « r », sa voix qui peut se faire gouailleuse ou rauque, hurler ou se briser, murmurer emplie de douceur. Mais son répertoire est plus vaste que celui de Piaf car il va de la chanson canaille à la ballade sentimentale en passant par la chanson dite engagée, la révolte sociale, ce qui fut rarement le cas de Piaf. Pia est la femme non soumise et libre. Ses dernières prestations ont une autre grandeur que celles de la Piaf usée et exploitée par tout un tas de marlous, de la chanson en particulier. Un ton nettement au-dessus. De l’hyperréalisme dans le bon sens du terme, de l’expressionnisme d’une énorme tendresse et crudité de la vie mêlées.
Elle est Amour. Tout simplement. Et Vie.
*
Mais, revenons à notre sujet premier.
J’ignore si Pia avait des frères et des sœurs, mais il n’en est jamais question nulle part. Au moment de sa naissance, sa mère Suzanne Balourdet, était dans sa 27e année. Son père dans sa 36e année. Ils s’étaient mariés la veille de Noël 1921 à Paris. Certains écrivent que son père était d’origine milanaise. Je ne sais où ils ont pris cette information. Ce dernier, comme laissait déjà présager ses prénoms français (Émile, Louis) qui circulent sur Internet dans un ou deux articles, est né en France et non pas en Italie.
En fait, le père de Pia Colombo est né dans le sixième arrondissement de Paris. Né le 30 septembre 1894, il a été déclaré le 3 octobre 1894 de « père non dénommé » et reconnu le 30 octobre courant par sa mère (Marie), Amélie Gendras, femme de chambre âgée de 25 ans, demeurant rue Jacob. Ici, l’on voit que les deuxième et troisième prénoms de Pia étaient ceux de sa grand-mère paternelle.
Ce n’est que par le mariage de Marie, Amélie Gendras avec Robert Colombo qui eut lieu le 8 avril 1903, que le père de Pia a pris le nom de Colombo. Robert, François, Joseph Colombo étaient les prénoms du grand-père paternel de Pia. Prénoms bien français. Ce n’est donc pas, non plus, la génération du grand-père Colombo qui est née en Italie. À moins de naturalisation et de francisation de prénoms. Qui plus est, le père de Pia Colombo a été légitimé par le mariage de ses parents, mais rien ne dit – bien au contraire – que Robert Colombo ait été le géniteur d’Émile Colombo.
L’acte de naissance de Pia nous dit que sa mère est née à Nogent-sur-Marne. Elle y est née le 20 septembre 1903 d’Ernest Balourdet alors âgé de 27 ans qui avait le métier de plombier-zingueur et de Lucie Chaplet qui avait 21 ans. Cette dernière est « sans profession » comme la plupart des femmes de cette époque, y compris dans les milieux populaires. Et son époux est déclaré « constructeur » ; « chaudronnier » ai-je lu quelquefois dans des articles. Enfin, il était ouvrier. Plus tard, après-guerre, ai-je lu également, il aurait été chauffeur de taxi à Paris.
Le père de Pia acheva sa vie en mars 1976 à Château-Thierry dans l’Aisne. L’année suivante, ce fut sa fille qui fut atteinte du mal que l’on sait. Et la mère mourut dans un tout petit village des Pyrénées au Cuing, un an après sa fille, en juillet 1987.
*
Plusieurs dates circulent aussi concernant la date du mariage (unique mariage) de Pia Colombo et la date de son divorce. Mis à part dans le livre que Joseph Moalic a consacré à Fanon, où les dates sont exactes, c’est ailleurs le flou total. Les bonnes dates sont : mariage, 28 septembre 1960 et jugement de divorce, 16 avril 1964. Le marié est évidemment Maurice, Henri Fanon, le chanteur. Pia a vécu avec lui à compter de 1954 environ, ou un peu plus tard (j’en reparlerai). Ils ont donc vécu, si l’on prend les dates extrêmes, une dizaine d’années ensemble, moins probablement les mois précédents le divorce et surtout moins le long intermède de la Guerre d’Algérie. Parti tard à l’armée après des sursis pour ses études, Fanon s’est retrouvé en Algérie de mars 1957 à mai 1959 ; né le 1er janvier 1930, juste après minuit, mais enregistré officiellement comme né le 31 décembre 1929, il s’est retrouvé par cette erreur dans une tranche d’âge qui en pris plein de la guerre, plus de deux ans.
Quand je dis « vécus ensemble », il faut imaginer une petite communauté d’artistes débutants autour de Fanon très proches les uns des autres, dont je n’ajouterai rien de plus ici car c’est un autre sujet, si ce n’est que la grand-mère de Pia en était une sorte de mamma.
Leur mariage proprement dit a très peu duré, à l’inverse de leurs très forts liens d’amour-amitié à distance jusqu’à la mort de Pia. Cette dernière fut celle qui poussa Fanon à écrire des chansons, l’égérie de toute sa vie et sans doute le seul vrai amour de Fanon nous disent les gens qui l’ont connu ainsi que son biographe. Leur rupture poussa Fanon à se mettre à chanter ses chansons lui-même. C’est évidemment Pia qui a quitté Maurice, comme toutes les femmes officielles ou de rencontre de ce dernier, sauf la dernière je crois qui a tenu le choc. Il faut dire que Maurice Fanon était un vilain petit canard, sans doute aussi quelqu’un de perturbé par la guerre d’Algérie et aussi complexé par sa petite taille et son corps frêle. On le voit sur certaines photos bombant le torse. Tous ses amis et ses confrères du monde de la chanson l’on décrit comme un homme aussi charmant et « féminin », la main sur le cœur et serviable à jeun que déprimé, puis agressif et bagarreur lorsqu’il était bien éméché. Et fort coureur. C’est-à-dire souvent ; aux confins des nuits, aux sorties des cabarets.
*
Donc pour en revenir à Pia, il faudrait arrêter d’écrire, comme on le voit en général, que Pia Colombo serait morte dans sa 52e année. Ce fut vers 47 ans qu’elle fut atteinte du mal qui l’emporta à presque 56 ans.
Hasard des nombres, c’est à 47 ans que Piaf est morte, quant à elle.
Commentaires fermés