ECCE HOMO
La connerie de l’Homme est sans limite, sans retenue ni réserve, sans respect du Passé. Je ne cesserai de le répéter. Plus bite et jobard et badaud que lui, tu meurs…
Un Ecce Homo d’un peintre académique et religieux oublié, Elías García Martínez, mort il y a moins d’un siècle, certes comme il y en a des milliers, courant et non estampillé par les officiels surtout, et plus encore non entretenu ni protégé, pourrissant lentement au fond humide d’une église espagnole, mais qui aurait pu être restauré par une personne compétente, a été proprement salopé, détruit par une mémère hispanique se croyant quelque talent et le droit, l’autorité picturale à défigurer l’original.
Je ne juge pas de la valeur artistique de ce tableau, de cet Ecce Homo de Borja « résultat de deux heures de dévotion à la Vierge de la Miséricorde » selon l’inscription du peintre lui-même. Pas plus que de sa valeur religieuse qui est du domaine de la conscience individuelle. Encore moins de sa valeur pécuniaire dont d’elle en premier lieu, je me contrefous bien.
Je juge l’irrespect, l’outrecuidance et le vandalisme sacrilège contre une œuvre d’art désarmée et innocente, qui plus est d’un mort, fut-elle médiocre mais fruit d’un travail de quelqu’un de métier que l’on peut estimer avoir été sincère.
Oui, je sais, l’exemple vient de haut, si l’on peut appeler « haut » des escrocs, des noms, des enseignes publicitaires, des marques de produits avariés comme Picasso qui un jour, lui qui avait pourtant au départ du talent, décida de peindre à l’esbroufe dégénérée pour épater le bourgeois et surtout le collectionneur friqué.
Oui, ce dernier s’arrogeait le droit, comme tant d’autres avant lui certes (mais eux, sans le sou) de repeindre, qui plus est des déjections à pâmer les crétins, sur une œuvre ancienne d’un inconnu (non monnayable). Le douanier Rousseau le faisait régulièrement, mais décent, c’était de la toile de ses propres tableaux dont il se resservait.
Oui, je sais aussi, par exemple, les pierres taillées et même sculptées en remplois dans les monuments sont une pratique courante de tous les temps qui ne voient que par faire du neuf (le plus moche et sans goût, le plus toc et sans qualité, et le moins esthétique soit-il de nos jours) ; que par les destructions de « déviances » esthétiques, religieuses, etc. (dans ce va-et-vient incessant et rarement nuancé entre les interdits qui brisent les hommes et la liberté expressive ; et la liberté sans frein qui tombe généralement dans le laisser-aller de la décadence de gens amorphes et non goûteux, ni goûtés et au court hédoniste béat et satisfait) ; et pour finir, que par la mise au rebut de « vieux machins passés de mode ». Je me répète, l’Homme est en règle générale un abruti. Un imbécile heureux. Surtout à notre époque de déclin.
Les sous-artistes de la décadence eux-mêmes sont évidemment, sui generis, assez vils et irrespectueux, petits et médiocres rebelles de banlieues, pour renier toute attache et tout respect dévolu au Passé de leur art, ou de ce qui semble avoir été leur « art » car on en doute à voir les immondices qu’ils produisent et dont ils tirent pour certains gros profits. Ainsi en fut-il de nombre de plaisantins, d’un Matthieu par exemple ou d’un Buffet (mais, paix à leurs âmes !).
Où est le temps où des peintres respectueux, amoureux frileux et dévots des œuvres de leurs ancêtres en art, passaient couramment, naturellement des heures, des jours, des semaines, des mois, des années parfois, à recopier des tableaux sur l’original. Ou à se réjouir, non sans nostalgie parfois et loin du petit Liré, d’effectuer le voyage italien obligé. Ce temps est mort. L’art est mort. Sa sacralité surtout. Enfin, tout est mort de l’essence élevée de l’homme ; la société est devenue folle.
En notre temps où la grégarité innée de l’animalcule humain n’a autant été développée, humanoïde qui se croit déviant, libre et à bougeotte « nomade » (mais pas manouche, ni Rrom, monsieur, « citoyen du monde ») ; alors qu’il s’emmerde comme un rat mort, ne crée rien et consomme tel un gogo ; le premier imbécile venu est poussé à s’extasier devant le dernier étron mis en avant (et en vente) par la réclame des gazettes de la propagande et du divertissement, autrement dit du détournement de la Pensée réellement créatrice et agissante.
Les procédés de « dépassement de l’art » eux-mêmes, d’un art moribond, moderniste et avant-gardiste de sa propre fin – je vois mal d’ailleurs comment on peut dépasser un art si non en l’annihilant, le détruisant, mettant ses œuvres au rencart – sont récupérés par la sous-société bourgeoise de la médiocrité sans âme ni vraies valeurs. Les artistounets (et je suis gentils) sont nolens volens tous surréalistes (pauvre Lautréamont !), lettristes (pauvre Isou !), situationnistes (pauvre Debord !), anarchistes (pauvre Anarchie !) et néo-néantesques assumés et voulus comme tels… Fiers de l’être et de se foutre de la gueule de l’Art et de leurs contemporains. Ils illustrent la mort inéluctable de notre civilisation.
Il ne faut donc pas être étonné que des insectes incultes s’extasient devant l’œuvre gigantesque de la détourneuse, la caricatureuse et massacreuse « restauratrice » de cet Ecce Homo qui ne demandait rien d’autre que d’être oublié dans l’ombre ecclésiale d’un obscur, perdu, voire déserté monument religieux. Je lis même que « plusieurs pétitions sont lancées pour la conservation de la nouvelle version, dont une qui recueille plus de 10.000 signatures en quelques jours ». Pitoyables ersatz humains. Créateurs de rien ou de néant. Sans talent en rien.Toujours prêts à défendre le niente qui leur ressemble, qui leur va si bien. À l’ère du plastique, les arts plastiques battent de l’aile de la mort assurée. À l’ère de la camelote reproductive à l’infinie et érigée en modèle, les abrutis s’unissent pour défendre ce qui pourtant ailleurs se vend tous les jours et fait la joie des amateurs pas du tout éclairés, voire des musées dirigés par des illettrés !!!
Un cinéaste dénommé Alex de la Iglesia dont j’ignore tout de « l’œuvre » qui doit être mirobolante et mirifique, je n’en doute pas, (j’ai arrêté de fréquenter les cinémas à l’époque de la mort de Fellini, c’est dire !) soutient l’œuvre de la grotesque « restauratrice… d’art » ; comme il apprécie sans doute les innombrables tableaux blancs sur fond blanc et moustaches à la Joconde et autres pitreries de potaches qui jalonnent le triste siècle en tout qui s’est achevé il n’y a pas très longtemps (deux guerres mondiales, une charpie comme jamais, et depuis, ça continue : une destruction de la Terre insensée). Le tableau « repeint » serait même pour lui « l’icône de notre manière de voir le monde ». Ce triste individu peut garder pour lui son « notre manière » car elle n’est pas la mienne. Amusant de nous parler d’icône, de peinture religieuse pour la ravaler au rang du grotesque quand on a pour nom « de la Iglesia », non ? Mais il veut sans doute parler d’icône informateuse.
Un autre « grantartisse », un certain Jesús Ferrero, écrivain celui-ci, à l’œuvre également mirobolante et mirifique, je n’en doute aucunement,évoque « les mains radiantes de la dame » (sic) qui selon lui, auraient transmué, pour le dire plus justement assuré la transsubstantiation magico-religieuse de l’état (horrible en soi) d’œuvre « académique et terriblement ancrée dans le XIXe siècle » (ô l’affreux siècle) à celui « d’icône pop », autrement dit d’icône-art d’une prétendue expression populaire, certes ni mieux ni pire que l’académisme contemporain et le style pompier des bousiers du déclin de notre époque nihiliste en laquelle Nietzsche voyait cette volonté de néant et cet instinct de mort. De ce goût actif de la mort et de ce dégoût passif de la vie. Cette mascarade horrible sans destinée ni pensée aucune, cette bouffonnerie pitoyable singeant tout ce qui peut élever l’homme de sa triste condition d’animal percevant parfois (toujours chez les vrais artistes qui restent) sa tragique condition de petit être mortel et pensant.
C’est l’innocence virginale du crétin intégral qui joue à l’art sans valeur en soi (si ce n’est, bien évidemment, marchande), comme on joue aux billes, et encore avec moins de passions juvéniles. C’est l’inversion intégrale des valeurs. Ecce homo :
« Quand la bête de troupeau rayonne dans la clarté de la vertu la plus pure, l’homme d’exception est forcément abaissé à un degré inférieur, au mal. Quand le mensonge à tout prix accapare le mot « vérité », pour le faire rentrer dans son optique, l’homme véritablement véridique se trouve désigné sous les pires noms. Zarathoustra ne laisse ici aucun doute : il dit que c’est la connaissance des hommes bons, des « meilleurs », qui lui a inspiré la terreur de l’homme ; c’est de cette répulsion que lui sont nées des ailes, « pour planer au loin dans des avenirs lointains ».
Entre celui qui, sans savoir ni savoir-faire, singe et rature de graffiti et gribouillis les œuvres originales, et l’auteur de métier originel et on ose l’espérer toujours un peu original ; entre les Rimbaud d’hier mis au pinacle pour le meilleur et pour le pire, et les rimbauds inconnus, dédaignés de nos tristes jours ; entre celui qui autrefois a souffert et aujourd’hui celui qui souffre ou subit la marge et la censure (la pire, la non écrite) le choix est évident pour qui a encore un peu de sensibilité.
C’est peut-être, c’est je crois ce qu’a voulu exprimer Robert Pioche dans sa perception de cette historiette de l’Ecce Homo de Borja ; c’est ici :
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