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I – DOR
Quand je serai mort…
Finis les remords
Et tous les regrets
D’un esprit de grès.
*
Quand je serai mort…
Finis tous les mors
D’une société
Vile à satiété.
*
Quand je serai mort…
En mon vieil Armor,
Les seins non tétés
Seront étêtés.
*
Quand je serai mort…
L’infinit amor,
Mon rêve d’été,
N’aura pas été.
*
L’Ankou dansera,
Réamorcera,
Bella Nostalgie,
D’avenants Ci-Git.*
II LES COLCHIQUES
Qui ne connait cette ritournelle faussement ancienne qui dit : Colchiques dans les prés / Fleurissent, fleuriss…ssent / Colchiques dans les prés / C’est la fin de l’été. // La feuille d’automn…mne / Emporté’ par le vent / En ronde monoton..ne / Tombe en tourbillonnant…
Les paroles sont d’une certaine Jacqueline Dabatte et la mélodie d’une certaine Francine Cockenpot qui créèrent cette chansonnette vers 1942-1943 au sein du scoutisme.
Je ne peux m’empêcher de sentir dans cette ritournelle quelque réminiscence d’un poème bien connu d’Apollinaire que je vous livre à ma manière après avoir remis en ordre son laisser-aller poétique, étant entendu que je suis resté au plus près de l’esprit de cette pièce, en particulier dans les redites de certains mots tel « comme » ; de multiples autres variantes de détail sont possibles.
Les Colchiques.
Le pré est vénéneux, mais joli en automne,
Les vaches y paissant, lentement s’empoissonnent.
Le colchique, couleur de cerne et de lilas,
Y fleurit et tes yeux sont de cette fleur-là,
Violâtres comme un cerne et comme cet automne,
Et ma vie, en tes yeux, lentement s’empoisonne.
Les enfants de l’école arrivent en fracas,
Vêtus de hoquetons, jouant de l’harmonica.**
Ils cueillent le colchique ; et les fleurs sont des mères
Comme de fille à fille, couleur de tes paupières,
Qui battent comme fleurs battent au vent dément.
Le gardien du troupeau chante tout doucement,
Quand, lentes et meuglant, les vaches abandonnent
Pour toujours ce grand pré mal fleuri par l’automne.
Mais quand je lis ces colchiques kostrowickiens,il me revient toujours en écho cette autre poème, un sonnet cette fois, de Corbière daté de « « marais de Guérande – avril » et titré « Paysage mauvais », s’achevant ainsi :
… – Les crapauds,
Petits chantres mélancoliques,
Empoisonnent de leurs coliques
Les champignons, leurs escabeaux.
Des coliques empoisonneuses aux colchiques fleurs empoisonneuses, il n’y a que quelques menus pas poétiques, que je franchirai allègrement.
III – Notules
La vie est une maladie aussi des pierres
Du vent et du Soleil, de l’eau et de la Terre,
De la lumière.
Les plantes aux abois et les roses des bois,
Les plantes en prison se révoltent au vent.
Tout arbre scié se vengera ; oui, tôt ou tard.
Pantin qui danse…
Croire en un Dieu, et qui plus est, doué d’omniscience :
Ô, suffisance !
S’imaginer que l’Homme est de quelque importance :
Outrecuidance !
L’homme est le plus néfaste des animaux, le roi des prédateurs, le premier parasite de cette bonne vieille Terre. Mais la Nature infinie en ricane, attend son heure. Question d’angle de contingence…
Notes :
* On peut inverser les strophes trois et quatre. Autrement, merci au roumain, catalan, breton, italien. Enfin précisons qu’aucun dictionnaire (ni breton, ni français) ne me dit si Armor (ou Arvor) est un mot masculin ou féminin ; confusion totale en breton entre Armor et Arvor dont on finit par ne plus savoir l’origine exacte. En toponymie bretonne, « Armor » et « Arvor » se retrouvent sous ces deux formes de base, avec diverses variantes phonétiques dialectales, par exemple, sous la forme « la côte d’Amour » en presqu’île guérandaise qui parlait autrefois breton, où « Amour » est probablement un ancien « ar mour » dont le « ô » normalement fermé de « mor » s’est encore plus fermé pour donner « ou ». Ici, dans ce poème, « Armor » est prononcé à la française avec un « o » ouvert.
Armor est l’antique « Aremorica » des écrits latins ou « are » est l’équivalent du grec « para » et du latin « per » (la chute d’une consonne initiale est courante en gaulois comme en grec d’ailleurs, ainsi le gaulois « ater/atre » est l’équivalent du latin « pater/patre » si bien que de nos jours par exemple « soleil » se dit « éol » (écrit « heol ») ou « yaol » (écrit « iaul ») en breton), « mor » l’équivalent du latin « mare » et « -ica » un suffixe indiquant une région, une contrée, un pays (comme dans Baetica, de Baetis nom de l’actuel fleuve Guadalquivir). « Ar mor » signifie donc « sur mer » (comme dans les noms de communes qui se terminent par « sur mer » en français), ou si l’on préfère : « qui longe la mer » ou encore : « vers, auprès, en face, à proximité, au bord, en bordure, en limite, en rive(s), au(x) rivage(s) de la mer ». Le « are » gaulois s’est réduit à « ar » en toponymie, tandis que le breton contemporain utilise « war » (mais aussi « ar » là où l’article défini ne se dit pas « ar », ce qui entraînerait des confusions, mais « ër » par exemple, en pays vannetais en particulier).
Cela dit, si je connais le sexe de l’Aremorica (féminin) et le sexe de la mer bretonne (masculin), j’ignore le sexe d’Armor/Arvor et de son pendant Arcoat (ou Arcoet, Argoat, Argoet), le pays des bois, l’intérieur de la Bretagne par opposition à la Bretagne côtière. Oui, en breton (ar mor) comme en espagnol (el mar), comme en italien (il mare), comme en portugais (o mar) la mer est masculine, comme le bois (ar coat). Telle encore la terre qui se dit « an douar ». Par contre elle est féminine en roumain (mare, marea : mer, la mer) en romanche (la mar, localement : la mer) en catalan (la mar), en occitan (la mar), etc. comme en français. Ceci étant, cela ne dit rien des composés « ar mor » et « ar coat ». Moi, je les fais masculins, mais j’aurais pu écrire tout pareil : « ma vieille Armor ».
De même les puristes me demanderaient d’écrire « Arvor » et « Argoat » ou « Argoet » (forme plus archaïque, comme les mots en français qui sont passés de « oé » à « oa », par exemple « boué », « bois »). Car la préposition « war » (sur) en breton impose grammaticalement la mutation de la consonne initiale du mot qui suit ; en l’occurrence la nasale sonore « m » de « mor » devient la fricative sonore « v » de « vor » ; et l’occlusive sourde « c » de « coat » devient l’occlusive sonore « g » de « goat ». Pourquoi je m’en dispense, du moins pour « Armor » alors que généralement on s’accorde plus facilement sur « Argoat » ? Parce que la forme « Armor » est une forme très ancienne et qu’on disait « Aremorica » en gaulois et non pas « Arevorica ». On ne connait pas la forme antique gauloise (si du moins elle existait) correspondant à l’actuel « Argoat », que l’on peut juste supputer comme ayant été « arecoitica ». On ne connait pas la formation, l’apparition des mutations consonnantiques initiales dans l’ensemble des langues celtiques modernes. Les vraies causes. Mais il semble qu’une certaine faiblesse des consonnes, une certaine prédilection pour les voyelles, qu’une tendance articulatoire à tout lier aisément, du moins dans la logique des gosiers celtes – ce qui rapproche ces langues du grec à ce niveau – soient à la base de ces mutations.
De nos jours les causes phonétiques sont masquées par l’usure des mots et de phonétiques ses oppositions sont devenues morphologiques. Si à notre époque il est convenu de dire « war vor » en breton, c’est sans doute parce qu’autrefois, à une époque inconnue des linguistes, des celtes ont adouci, affaibli « are mor » en « are vor », puis réduit « are vor » à « ar vor », mais bizarrement jamais vraiment transformé « ar vor » en « war vor » du moins dans l’expression consacrée « Arvor » comme le réclamerait le breton moderne. Expression tellement consacrée qu’elle en est même largement restée à la forme figée « Armor », du moins quand il s’est agi de désigner la contrée bretonne et non le simple fait de se trouver près de la mer (war mor).
J’écris « puis », mais j’ignore dans quel ordre se sont produits ces phénomènes phonétiques et je n’ai pas sous la main de dictionnaire de vieux-breton. Juste la Grammaire Trépos du Breton qui suggère que le « ar, an, al » breton, autrement dit l’article défini devait être autrefois, comme pour les langues romanes, un ancien adjectif-pronom démonstratif (ceci, celui-ci, celui-là… du latin), mot dont on ignore la forme bretonne ancienne.
Quand il s’agit de dire simplement « mer, la mer, terre, la terre » un bretonnant dit « mor, ar mor, douar, an douar ». Pour dire « près de la mer, en bordure de mer », littéralement « sur mer », il dira « war vor ».
On voit donc que l’article défini breton n’entraîne aucune mutation de la consonne initiale du substantif masculin singulier qui le suit ; non seulement du substantif mais aussi de l’adjectif qui peut suivre le nom. C’est la norme courante morpho-phonétique en breton. C’est pourquoi on a le département du Morbihan (Morbihan désignant le golfe « îleux » du même nom). Morbihan c’est « ar mor bihan » : « la petite mer », étant entendu que « mor » et « bihan » sont au masculin singulier. De même dit-on « an den bihan », ce qui signifie : un petit homme (mot à mot : un homme petit). Mais « an intron vihan », ce qui signifie : la petite dame. L’adjectif est invariable en breton, plus précisément il ne possède aucun suffixe pour marquer le féminin ou le pluriel. La marque du féminin singulier est de remplacer ici, le « b » initial de « bihan » par un « v ».
On voit également que si l’on dit « ar mor », on dit « an douar » (« douar » en deux syllabes, remarque en passant), « an den » (a-n dén) et « an intron » (a-n i-n-tron-n). Encore une question de phonétique et d’accommodation consonnantique. Répétons-le : la consonne est un élément faible en breton ; mais aussi les mutations sont tout autant des marques morphologiques que phonétiques. « Bihan » est ainsi la marque morphologique du masculin singulier (c’est-à-dire l’absence de mutation) quand « vihan » est la marque du féminin singulier (mutation de l’occlusive sonore « b » à la fricative sonore correspondante « v »). Par contre, employer « an » ou « an » ou « al » ne relève pas à proprement parler de la morphologie, même si parler correctement le breton exige de ne pas se tromper. L’article défini breton qui rappelons-le également veut aussi bien dire « le » que « la » ou « les » (seul le nom reçoit la marque du pluriel) – comme l’adjectif possessif « ma » par exemple veut aussi bien dire « mon » que « ma » ou « mes » – se dit « ar » à la base, devant une série de consonnes dont la consonne « m ». Ar mor. Mais il se dit « an » devant par exemple, les dentales (« an den », « an ti », l’homme, la maison) et les voyelles (an intron). Ou enfin « l » devant « l » : al louarn, le renard. C’est la même logique qu’en langue arabe où le « al » voit son « l » muter, s’adapter à la consonne initiale du nom qui suit.
** Le hoqueton (probablement de l’arabe al-qothon, signifiant « le coton » par l’espagnol « algodon, alcoton », peut-être avec une influence de « houque », sorte de cape en ancien-français) est un mot bien oublié et aujourd’hui désuet, il s’agit nous disent les dictionnaires d’une casaque brodée des archers d’autrefois, d’une casaque en général, ou plus particulièrement d’une casaque faite de grosse étoffe matelassée avec du feutre, assez courte et sans manches. Anciennement ce mot avait aussi le sens d’« étoffe ».
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